La synthèse ! La synthèse ! Dans la majorité, comme dans l'opposition, de nombreuses personnalités conjurent François Hollande de faire la démonstration de son légendaire talent de confectionneur de compromis pour se tirer d'affaire. «Ce qui était de la triangulation pure le jour du Congrès s'est refermé comme un piège», balance un ministre. Entre gauche et droite, majorité et gouvernement, «on est dans le confusionnisme total», lâche un secrétaire d'Etat. Ce néologisme résume assez bien la teneur du débat sur la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français condamnés pour terrorisme. A droite comme à gauche, les critiques sont si nombreuses et si vives que ce projet de réforme constitutionnelle ne peut d'ores et déjà plus prétendre incarner l'union nationale dans une France en guerre contre le terrorisme. Au point que Pierre Joxe, ancien ministre socialiste de l'Intérieur et ancien président du Conseil constitutionnel, lui souhaite dans un appel publié par Mediapart une «euthanasie douce».
Quelles portes de sortie ?
De nombreux juristes et responsables politiques auront consacré leurs fêtes de fin d'année à la recherche d'une solution à ce casse-tête : comment marquer symboliquement la rupture entre la communauté nationale et ses ennemis de l'intérieur sans créer plusieurs catégories de Français ? Dans un texte mis en ligne sur son blog mercredi, la députée LR Nathalie Kosciusko-Morizet se propose charitablement d'offrir une issue de secours à Hollande : «L'intérêt supérieur de la nation commande que vous révisiez votre position. Il n'y a pas de honte à cela. Chacun comprendra, que dans l'urgence et l'émotion, vos déclarations aient pu être mal calibrées.» En ne voulant déchoir que les terroristes ayant la double nationalité, l'ex-numéro 2 de LR note que l'exécutif ferait un cadeau à «tous ceux qui voient dans la binationalité un problème», à l'extrême droite mais aussi à droite. Comme de nombreux responsables socialistes, dont les proches du chef de l'Etat Julien Dray et Jean-Pierre Mignard, NKM estime qu'une solution pourrait être de «renoncer à la déchéance et préférer l'indignité nationale», c'est-à-dire «la déchéance des droits civiques, civils et sociaux».
Lire aussi la tribune Déchoir de la citoyenneté plutôt que de la nationalité
Mais si Hollande et Valls tiennent absolument à la déchéance de nationalité, qu'ils l'appliquent à tous les terroristes, y compris à ceux qui ne sont que français. C'est ce que suggèrent NKM, Jean-Pierre Mignard, par ailleurs président de la haute autorité éthique du Parti socialiste, ou encore le constitutionnaliste et ex-eurodéputé PS Olivier Duhamel. Les traités internationaux qui interdisent de fabriquer des apatrides ne seraient, selon eux, pas nécessairement un obstacle insurmontable. Le Franco-Tunisien Hakim el-Karoui, fondateur du club XXIe siècle et ex-conseiller du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, recommande au gouvernement d'explorer cette option. Il note que la Convention internationale sur la réduction des cas d'apatridie, signée en 1961 sous l'égide des Nations unies, précise dans son article 8 alinéa 3 qu'un Etat peut «conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité» pour des individus qui auraient «manqué de loyalisme» et «porté un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'Etat». En pleine guerre d'Algérie, la France avait explicitement fait savoir qu'elle se réservait le droit «d'user de cette faculté». Ainsi donc, la voie pourrait être ouverte à une «déchéance pour tous» qui n'aurait même pas besoin de révision constitutionnelle mais d'une simple révision du code civil pour entrer en vigueur. Hollande tiendrait là, si elle s'avérait effectivement praticable, une solution inespérée.
Tout en campant sur une ligne de fermeté, l'Elysée n'exclut pas que le texte, approuvé en Conseil des ministres, puisse évoluer mais laisse ce soin aux parlementaires socialistes. Autant pour prendre la température que pour entamer ce vaste «travail de pédagogie» réclamé par Hollande, Manuel Valls et son cabinet ont passé une partie de la semaine au téléphone avec des députés PS. Le Premier ministre multipliera les rencontres à la rentrée. «Il est confiant», assure son entourage, même si certains appelés parlent plutôt d'un «gentil petit coup de pression qui ne dit pas son nom».
Ouvrir d’autres fronts ?
Avant la bataille de la déchéance au Parlement, l'exécutif doit passer l'obstacle des vœux aux Français. Ce jeudi, Hollande devait entamer son marathon par une allocution télévisée placée sous le signe d'un triptyque : «protection, mouvement, rassemblement». Autrement dit, lutte contre le terrorisme, adaptations du modèle économique français et défense de la République. Contre, précise un conseiller présidentiel, «ceux qui l'attaquent de l'extérieur», mais aussi «ceux qui veulent emmurer les Français», le nouvel idiome préféré du Président pour parler du FN. Mais de déchéance de nationalité, il ne devrait pas être question ou alors au détour d'une simple allusion. «Le Président ne s'insère pas dans un débat politique, par ailleurs tout à fait légitime», dit-on dans son entourage. «C'est un thème qui parle à l'opinion, certes, mais qui ne permet pas de consolider la stature de rassembleur de Hollande, analyse une ministre. Ceux dont il a besoin pour passer le premier tour de la présidentielle sont tous opposés à la mesure.»
L'écologie et la transition énergétique pourraient en revanche constituer une planche de salut pour la gauche et devraient figurer en bonne place dans les vœux présidentiels. Ségolène Royal a transmis à l'Elysée un «agenda vert» traduisant concrètement l'accord de la conférence de Paris sur le climat de mi-décembre. «La COP 21 n'est pas une fin mais un début», répète Hollande. Sur le plan économique, le plafonnement des indemnités de licenciement aux prud'hommes, retoqué par le Conseil constitutionnel cet été dans la loi Macron, pourrait faire un retour par la grande porte des vœux, croit savoir un secrétaire d'Etat.
Après les régionales et les très mauvais chiffres du chômage d'octobre, l'exécutif a surtout promis de nouvelles mesures pour l'emploi mais ce «paquet» n'est pas finalisé et ne sera détaillé par Hollande que le 18 janvier, lors de ses vœux aux forces économiques. Par ailleurs, l'idée commence à émerger d'une fusion des deux lois que préparent Myriam el-Khomri (sur le droit du travail) et Emmanuel Macron (sur les nouvelles opportunités économiques). «Cela circule mais ce n'est pas tranché», dit-on à l'Elysée. Ce qui permettrait d'aller plus vite dans un calendrier parlementaire très chargé mais, surtout, face à une gauche échaudée par la réforme constitutionnelle, cela éviterait de ressortir l'épouvantail Macron. Lors du séminaire de travail à l'Elysée du 19 décembre, le ministre de l'Economie a prôné ni plus ni moins une «flexibilisation totale du droit du travail», essuyant des tirs de barrage de Marisol Touraine et de Stéphane Le Foll.
Que va faire le PS ?
La déchéance de nationalité divise et le silence de Jean-Christophe Cambadélis agace. «A chaque fois qu'on a un problème, il disparaît des écrans radars», s'énerve un proche de Valls. Contrarié, un dirigeant du PS accuse le premier secrétaire d'avoir laissé toute la place aux frondeurs en gardant le silence. «Ils n'avaient plus, ou peu, d'espace depuis le congrès de Poitiers. Aujourd'hui, ils ont de nouveau une voix», accuse ce parlementaire. Echaudé par les critiques venues de ses rangs, Jean-Christophe Cambadélis sera de retour dans les médias lundi matin et présidera un bureau national qui promet d'être chaud lundi soir. Opposé à la déchéance de nationalité - une idée qui «n'est pas de gauche» selon lui -, il promet de ne pas changer de direction. Reste à trouver les mots et la manière de dire les choses pour éviter d'aggraver la crise, contrairement au Premier ministre qui «met trop de passion et de tension dans le débat», accuse un ténor socialiste.
Vu l'état de la crise, la majorité PS est vraiment très loin d'être acquise au Parlement, où le texte arrive début février. «Aujourd'hui, j'ai beau faire toute sorte de calculs, je ne vois pas comment Hollande peut obtenir une majorité : il a le soutien d'une centaine de parlementaires sur les 287», prévient un député francilien. «Ils ont cent mecs max», corrobore un ministre. Du côté de Matignon, le pronostic diffère : «Nous sommes déterminés et confiants dans notre capacité à convaincre les parlementaires PS», dit-on là-bas. Dans les trois mois qui viennent avant le congrès prévu au printemps, «on passera notre temps à compter, décompter, recompter les voix», déplore une ministre. Au lieu de se consacrer corps et âme à la lutte contre le chômage et au rassemblement de la gauche.
Lire aussi la tribune Ci-gît le hollandisme