Rarement politique publique de l'emploi aura fait tant consensus. L'apprentissage, pierre angulaire du «plan massif» contre le chômage, qui sera détaillé le 15 janvier devant le Conseil économique, social et environnemental (Cese) par François Hollande, est plébiscité de tout bord. Cette «voie d'excellence», selon les mots de Myriam El Khomri, la ministre du Travail, est aussi au cœur du «pacte républicain» proposé, mi-décembre, par Jean-Pierre Raffarin (LR).
Objectif affiché par l'exécutif : «Qu'aucun apprenti ne soit sans employeur et qu'aucun employeur ne demeure sans apprenti.» A cet objectif s'ajoute une ambition chiffrée dès 2012 : former 500 000 apprentis en 2017. Mais le pari n'est pas encore gagné, puisque, pour l'heure, seuls 400 000 jeunes sont en cours d'apprentissage. Une situation «préoccupante», de l'aveu même du gouvernement. D'autant que le nombre d'apprentis est en net recul depuis trois ans, et ce malgré la succession de mesures mises en place par le gouvernement, dont un plan de mobilisation pour l'apprentissage, lancé il y a tout juste huit mois. En 2014, 265 000 nouveaux contrats d'apprentissage ont été comptabilisés dans le secteur privé, ce qui représente une baisse de 3 % par rapport à 2013. L'année précédente, la baisse avait atteint 8 %, alors même qu'elle avait connu auparavant un léger rebond, après une période de repli liée à la crise. Tour d'horizon des points de blocage.
Des aides financières erratiques
La décision n'avait pas manqué d'agacer le patronat qui, aujourd'hui encore, la tient pour responsable du déclin du dispositif. En juillet 2013, le gouvernement annonce, au nom de la réduction du déficit de l'Etat, la suppression de l'indemnité compensatrice forfaitaire versée aux entreprises accueillant des apprentis. Levée de boucliers des patrons, qui obtiennent une nouvelle prime de 1 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés l'année suivante. Rebelote à la rentrée 2015 avec l'entrée en vigueur du dispositif «TPE jeune apprenti», permettant aux entreprises de moins de 11 salariés de recruter à «zéro coût» un apprenti de moins de 18 ans pendant la première année de son contrat. Mais, selon l'économiste Michel Abhervé, le mal est fait : «L'annonce de cette suppression s'est faite durant l'été 2013, soit en pleine période de recrutement des apprentis. Cela a eu un rôle néfaste, difficile à réparer.»
La chose n'est pourtant pas nouvelle. Bertrand Martinot, auteur d'une étude pour l'Institut Montaigne en mai 2015, pointe une succession de «modifications plus ou moins importantes en 2005, 2009, 2011, 2013, 2014» et «des multiples changements et revirements relatifs à la prime apprentissage et autres primes exceptionnelles à l'embauche». Autant de réorientations susceptibles de freiner les employeurs qui, paradoxalement, ne sont pas les derniers à demander des réformes. A commencer par l'UPA, l'organisation patronale des artisans, qui réclamait, le 15 décembre, «un dispositif zéro charge pour tout nouveau contrat de travail ou contrat d'apprentissage dans les entreprises de moins de 50 salariés pendant les deux premières années du contrat».
La rengaine patronale des «verrous»
C'est l'autre marotte du patronat pour expliquer sa frilosité à embaucher des apprentis : une réglementation jugée trop contraignante. «Relancer l'apprentissage, ce n'est pas seulement de l'argent, c'est aussi alléger ses applications», selon François Asselin, président de la CGPME. Mais l'argument est difficilement recevable aujourd'hui, puisque des mesures de simplification ont été adoptées par le gouvernement (dont celle levant l'interdiction pour les apprentis mineurs d'utiliser des escabeaux). Pour autant, Bertrand Martinot plaide pour plus de «souplesses» sur les modalités de rupture et la durée du contrat, tout en dénonçant l'«absence de consolidation des offres et des demandes» d'apprentissage. D'où la difficulté des jeunes à trouver un employeur. Quand d'autres, comme Pierre Cahuc et Marc Ferracci, dans un rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) de décembre 2014, pointent le rôle central d'une Education nationale «trop éloignée de l'entreprise». Autant d'éléments sur lesquels le gouvernement ne peut espérer jouer à court terme.
Le poids de la crise dans le bâtiment
L'explication est aussi conjoncturelle. Pour la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, «les très faibles recrutements dans le secteur de la construction expliquent le recul des entrées en apprentissage en 2014». Soit - 12 % rien que dans le bâtiment. «Traditionnellement, ce secteur utilise beaucoup l'apprentissage, explique l'économiste Michel Abhervé. Mais comme les carnets de commandes sont en berne, la demande chute.»
Un parcours encore stigmatisé
Autre vieille difficulté : l'apprentissage n'a toujours pas la cote et «peine encore à être perçu […] comme une solution positive d'orientation», souligne le CAE. Pire, les Français auraient «une sorte de mépris social en direction des métiers manuels et industriels», selon la ministre du Travail, qui préconise une «révolution culturelle». D'autres éléments matériels pèsent sur la décision des élèves. C'est le cas des questions d'hébergement et de transport, notamment pour les plus jeunes, dont la part dans l'apprentissage dégringole, marquant ainsi une nouvelle fracture : en 2014, les bas niveaux de formation sont les plus touchés par la baisse de l'apprentissage, alors que ceux de l'enseignement supérieur repartent à la hausse.