Un an après les événements de Charlie, de Montrouge ou de l'Hyper Cacher, les chaînes de télévision reviennent toute cette semaine sur les premiers attentats qui ont ensanglanté l'année 2015. Des programmes prévus depuis longtemps mais qui ont souvent dû être mis à jour après les attentats du 13 Novembre.
On peut craindre le pire avec ce genre d’exercice de commémoration, mais pas cette fois. La qualité des angles et des enquêtes, les différences de formes choisies, la pertinence et la variété des témoins interrogés, tout cela rend l’exercice passionnant et salutaire pour tenter de trouver des réponses dans une histoire encore immédiate, qui favorise généralement les erreurs de lecture et d’interprétation.
Parmi la quinzaine de programmes, nous en avons choisi cinq, non pas pour l’exclusivité de tels témoignages ou de telles images, mais pour leur force et leur originalité.
Dans les coulisses du pouvoir
La caméra d’Antoine Vitkine a suivi les principaux protagonistes politiques (Hollande, Valls, Cazeneuve…) entre le 7 et le 11 janvier, puis pendant les événements du 13 Novembre et nous refait le film de ces événements, version pouvoir. Le film mêle habilement images filmées sur le moment et interviews réalisées après-coup pour essayer de saisir comment les politiques essayent de gérer ces moments critiques. Et de plonger le spectateur au cœur de la matrice : suivi de la traque dans la «war room» du ministère de l’Intérieur, discussions avec des responsables politiques pour mettre en place l’union nationale, décision de l’assaut sur l’Hyper Cacher…
Pas de révélations fracassantes, mais une toile de fond passionnante sur les coulisses, les errements, les doutes, entre grands gestes politiques et petites mesquineries. On y voit comment un pouvoir cherche à ne pas perdre la main, voire à la reprendre sur des événements qui le dépassent. Cynique vous trouvez ? «On pouvait craindre que le pays se déchire», explique Patrick Kanner, ministre des Sports présent au Stade de France le 13 Novembre, pour justifier des premières mesures prises dans la nuit - on apprend au passage que l'état d'urgence découle d'une note commandée par Valls après les événements de janvier. Un exécutif ne doit jamais donner l'impression de se retrouver démuni dans ce genre de situations. Pourtant, ce documentaire montre que tout se joue sur le fil du rasoir, surtout quand la guerre entre services de police est à l'origine de fuites susceptibles de nuire gravement à l'enquête ou quand la médiatisation en temps réel des investigations entre le 7 et le 9 janvier fait vaciller toute une stratégie politique.
Attentats, au cœur du pouvoir d'Antoine Vitkine lundi sur France 3 à 20 h 55.
La souffrance des proches
On sait pourquoi on aime autant le travail de David André (Une peine infinie, Chante ton bac d'abord…). A chaque fois, il sait trouver une manière sensible, à hauteur d'homme, pour parler de sujets, aussi graves soient-ils. Il sait prendre le temps, nous le donner, proposer un voyage dont on ne revient jamais tout à fait le même. C'est ce versant humain qu'il a une nouvelle fois choisi pour revenir sur les événements de Charlie, en donnant la parole à ceux qui survivent, ceux qui aujourd'hui doivent résister. Son récit se construit autour de onze témoignages qui racontent l'après, comment on continue de vivre, d'aimer, de se souvenir, de se battre.
Onze témoins, victimes, proches ou collaborateurs, qui partent chacun d'un détail, d'un moment, d'un souvenir pour expliquer ce qu'ils ont perdu et ce qu'ils doivent regagner. On y croise Sigolène Vinson, épargnée par les tueurs, perdue devant le Radeau de la Méduse. On y entend Zineb El-Rhazoui affirmer combien il est important de ne pas capituler, ne pas raser les murs. On y écoute les parents de Charb parler avec fierté de ce fils qui voulait aller au bout de ses idées, qui ne voulait pas donner raison aux intégristes. On y visite le bureau de Wolinski que Maryse, son amour de toujours, a offert à un musée pour qu'il continue à vivre. On y pleure avec la femme de Tignous, qui cherche les mots pour parler à leurs enfants. On lève le poing avec Riss qui ne peut tirer un trait sur Charlie Hebdo «parce qu'on peut vivre sans Charlie, mais quand le danger est là, on se rend compte que c'est plus important qu'on ne l'imaginait». Très beau dans ses plans d'accompagnement, le film n'oublie pas de purs moments de silence, instants fragiles où les témoins se perdent dans le fil de leurs pensées, où un souvenir passe sur leur visage comme l'ombre d'un sourire auquel on ne peut plus se raccrocher.
Du côté des vivants de David André mardi sur France 2 à 23 h 10.
Connaître le mal
«On ne naît pas terroristes, on le devient. Même les assassins ont eu une histoire.» Partant de ce principe difficile à tenir - tenter de comprendre le mal absolu sans chercher à l'excuser -, Stéphane Bentura livre une enquête exceptionnelle et sans parti pris sur les trajectoires personnelles des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly. Pour cela, il est allé à la rencontre de ceux qui les ont croisés, aidés, aimés. Le destin de Saïd et Chérif Kouachi n'était pas forcément de finir, les armes à la main, dans une petite imprimerie de Seine-et-Marne. «C'est ma faute, je veux comprendre», se lamente leur oncle en voyant les images tournées après la tuerie de Charlie. Les frères Kouachi, c'est une vie qui ne cesse de basculer : orphelins de père, ils sont placés très jeunes dans un foyer du Limousin quand leur mère meurt à son tour. Les deux frères ne se ressemblent pas, Saïd est discret, doué pour la cuisine ; Chérif, plus turbulent, vivait dans l'illusion d'une carrière de footballeur.
C'est à leur retour à Paris, à leur majorité, leurs rêves envolés, qu'ils vont prendre le chemin de la radicalité. Sans qu'on puisse l'expliquer totalement. Tout juste sait-on qu'ils vont croiser la filière des Buttes-Chaumont, cette bande de copains prêts à aller mourir en Irak, et surtout celle de Coulibaly, braqueur multirécidiviste. «Une force brute, mais quelqu'un d'intelligent avec une pensée structurée», se souvient Luc Bronner, actuel patron du Monde, qui avait rencontré Coulibaly quand celui-ci avait tourné un film clandestin sur les conditions de détention à Fleury-Mérogis. «C'est comme une défaite», regrette cette enseignante qui a connu Coulibaly durant son BEP. C'est bien ça qui ressort de ce film, lequel évite les pièges inhérents à ce genre d'exercices : un incroyable sentiment de défaite collective. Rien ne permet de comprendre complètement leur dérive, mais on mesure un peu mieux ce qui a manqué pour leur éviter cette impasse mortelle.
Attentats, les visages de la terreur de Stéphane Bentura lundi sur France 3 à 22 h 10.
Qui est Charlie ?
Deux documentaires reviennent sur l'histoire de l'hebdomadaire satirique et surtout son importance. Le Rire en éclats replace Charlie Hebdo dans le contexte des époques que le journal a traversées. Le film raconte les soubresauts de l'histoire de Charlie, le premier dépôt de bilan, l'épisode des caricatures en 2006, l'incendie des locaux en 2011, mais, surtout, il nous rappelle l'importance du rire dans notre société. Et le danger de le voir disparaître au nom d'une morale qui tient plutôt du renoncement. «On ne se force pas à Charlie, on est comme ça»,raconte Cabu lors d'une conférence de rédaction qui ouvre le film. Mais ils ont beau être comme ça, ils ont entre les mains une arme redoutable : la caricature.
«C'est le sommet de l'art démocratique, rappelle l'historien Marcel Gauchet, un des nombreux brillants intervenants de ce documentaire. Elle suppose une capacité d'autodérision et d'accepter des opinions qui vous sont contraires.» Et la défense de cette liberté ne supporte pas l'approximation. «Dire «je suis pour la liberté mais» , c'est de la lâcheté avec les contours de la pondération, explique le philosophe Raphaël Enthoven. C'est une démission maquillée.» Ce documentaire tisse une toile à la fois philosophique et historique de la satire dans le monde d'aujourd'hui. Et montre comment Charlie Hebdo s'est retrouvé en première ligne en notre nom à tous.
En complément, Charlie 712 est une plongée dans l'histoire d'un numéro de l'hebdomadaire qui a changé l'histoire. La sienne. La nôtre. En février 2006, Jérôme Lambert et Philippe Picard tournent un portrait de Cabu. Le hasard fait que le tournage se passe au moment où le journal s'apprête à publier les caricatures de Mahomet qui ont mis le feu au monde musulman. Les images, qu'ils avaient peu utilisées à l'époque, sont devenues des documents historiques. Pas de voix-off, on suit juste la conférence de rédaction et le bouclage. Des hommes et des femmes qui se marrent autant qu'ils ont conscience de défendre quelque chose d'essentiel. Et cette petite phrase de Wolinski qui va résonner longtemps à nos oreilles : «On a de la chance, la France est un paradis, c'est le seul pays où il peut y avoir un Charlie Hebdo.»
Charlie, le rire en éclats d'Yves Riou et Philippe Pouchain mercredi sur France 3 à 23 h 30.
Charlie 712 de Jérôme Lambert et Philippe Picard mardi sur France 5 à 22 h 05.
Et aussi
Lundi. Spécial investigation : sur la route de la Kalachnikov, sur Canal + à 21 heures.
Mardi. Janvier 2015, Paris face à la terreur, sur France 5 à 20 h 45 ; 2015 : Paris est une cible, sur Arte à 20 h 55 ; la Chambre vide, sur Arte à 22 h 30.
Mercredi. Engrenage : la France face au terrorisme, sur France 5 à 20 h 45 ; En quête d'actualité, sur D8 à 21 heures ; «Charlie» : un an après, ils racontent, sur TMC à 20 h 55 ; La France face au terrorisme, sur France 5 à 21 h 40 ; Attentats 2015 : les jours d'après, sur TMC à 22 h 40.