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Libération
EDITORIAL

Panache

Publié le 05/01/2016 à 19h41

On croit parfois que dans nos démocraties pacifiques, le courage physique est devenu un métier. Seuls en seraient capables ceux qui font profession de risquer leur vie, soldats, policiers, pompiers ou reporters de guerre. L'exemple de la rédaction de Charlie vient montrer l'exact contraire. Voilà un journal constitué de pacifistes, d'antimilitaristes, d'écolos de la première heure et d'humanistes gentils dédiés au rire, qui a survécu sans rien céder à une agression terrifiante, poursuivant leur tâche sans férir à la barbe des barbus criminels, alors qu'ils sont la cible haïe des intégristes de la Terre entière. C'était déjà le cas avant le 7 Janvier. Cabu, Charb, Wolinski, Bernard Maris et les autres, que nous pleurons tous les jours et plus particulièrement en ce sinistre jour anniversaire, se savaient menacés depuis longtemps. Ils avaient continué à défier les fanatismes, jusqu'à succomber. Ils le faisaient sans emphase, en prenant la vie par le bon bout, celui du sarcasme et de la dérision, avec pour boussole leur conviction simple que la liberté ne doit pas reculer. Mourir pour un dessin : cette clause n'était pas dans leur contrat de travail. Ils l'ont pourtant observée avec le panache de l'humour. Leurs successeurs, en dépit de la peur, du chagrin, du vertige médiatique et des inévitables dissensions, ont relevé sans trembler ce flambeau fragile tombé dans le sang. Honneur à eux, qui n'ont jamais postulé au statut de héros de la liberté d'expression et qui le sont devenus à leur ébahissement. Depuis un an, ils n'ont jamais baissé la plume. En regard de cette leçon, les jérémiades hypocrites des faux réalistes ne pèsent rien. Bien sûr, cette rédaction ne pouvait continuer sans hésitations, sans dissensions, sans crises. Mais c'est le lot de beaucoup de journaux, qui n'ont pas à porter le poids d'une telle épreuve. Bien sûr, une partie du pays, minoritaire mais significative, «n'est pas Charlie». Choquante au moment de l'attentat, cette attitude n'a rien, au fond, de surprenant. Un journal satirique ne saurait être consensuel. C'est même sa raison d'être que de heurter les consciences. Les fondamentalistes et les identitaires de tous poils n'aiment pas Charlie. C'est le contraire qui serait inquiétant : que, sous la menace, les dessinateurs et les rédacteurs du journal martyr arrondissent les angles, tempèrent leurs colères, endossent le manteau de la tartufferie respectable. Les millions de personnes qui ont défilé le 11 janvier, les innombrables soutiens qu'ils ont suscités à travers le monde n'ont jamais demandé cela. Leur seule unanimité portait sur le droit de ne pas être unanimes. Un an après le crime du 7 Janvier, on peut se rassurer sur ce point : contre les dévots, les fanatiques, les agenouillés, les conformistes et les dogmatiques, Charlie vivra.