«Un ouragan de néant déchaîné en vain» : c'est ainsi qu'un ancien conseiller du président Sarkozy (1) qualifie rétrospectivement la polémique de 2010 sur la déchéance des binationaux assassins de policiers. Après son tristement célèbre discours de Grenoble, l'ancien chef de l'Etat avait imposé dans un projet de «loi sur l'immigration» (sic) cette mesure vivement contestée par la gauche ainsi que par la partie centriste et chrétienne-démocrate de sa majorité. Ebranlé par l'opposition de Jean-Louis Borloo, Nicolas Sarkozy avait remballé sa déchéance en mars 2011. «Cette mesure symbolique n'est pas vraiment essentielle», «On ne va pas débattre pendant des mois du sexe des anges» : tels furent alors les arguments avancés à l'Elysée pour justifier ce recul.
Quel dommage que les leaders de la droite n’aient pas jugé utile de faire partager leur expérience ! «Non merci, vous êtes gentil, on a déjà donné», auraient-ils pu dire à François Hollande le 16 novembre, quand le président socialiste leur offrait lors du Congrès à Versailles, sur l’autel de l’union nationale, la déchéance des terroristes condamnés.
Qu’importe que les terroristes en question soient à double ou à simple nationalité. Le fiasco de 2010 avait déjà démontré que le «symbole» de la déchéance était avant tout facteur de division. Cela n’a pas découragé Nicolas Sarkozy et ses amis. Renvoyés dans l’opposition après la défaite de 2012, ils ont aussitôt repris à leur compte le slogan de la déchéance pour en faire un puissant marqueur du clivage gauche-droite.
Ce pénible débat est «totalement à côté de la plaque», notait très justement Alain Juppé, mardi matin, sur Europe 1. Mais le même Juppé a pourtant jugé utile de préconiser, dans le livre qu'il vient de faire paraître, «davantage de déchéances de nationalité pour les binationaux auteurs d'actes terroristes». Il est vrai que ce livre, titré Pour un Etat fort, est censé rassurer l'électorat de droite sur la capacité du maire de Bordeaux à bousculer les tabous de la gauche.
On résume : Alain Juppé affirme qu'il veut «davantage» de déchéance pour ne pas se faire distancer par Nicolas Sarkozy sur le terrain de l'Etat fort. Nicolas Sarkozy, lui, a décidé d'agiter une fois de plus ce symbole - qu'il sait pourtant impraticable - pour ne pas le laisser au seul FN. De son côté, le Front national a bien compris qu'à défaut de remise en service de la guillotine, une grande partie des électeurs plébiscite la déchéance comme une sorte de peine de mort symbolique dont les terroristes ne seraient que les premiers bénéficiaires. En attendant mieux… C'est ainsi que l'extrême droite mène la danse, tandis que François Hollande prétend tendre la main à la droite républicaine au nom de l'unité nationale.
(1) Au cœur du volcan : carnets de l'Elysée, 2007-2012, de Maxime Tandonnet, Flammarion.