L'attaque contre Charlie Hebdo se déroulait il y a un an, un mercredi midi, au moment où les écoliers terminaient la classe. Le lendemain, les enseignants ont dû gérer l'émotion des enfants, leurs questions, pas toujours simples. Que dire ? Avec quels mots ? Certains professeurs s'étaient sentis démunis, désarmés pour répondre, regrettant ne pas avoir été plus soutenus par leur hiérarchie. Des ressources pédagogiques ont depuis été mises en ligne, qui se sont avérées précieuses en novembre dernier. Quelques jours après les attentats de janvier, quatre enseignants s'étaient exprimés dans Libération, racontant les jours d'après. Anne (1), directrice d'une école privée en Seine-Saint-Denis, témoigne à nouveau, un an après.
Avez-vous prévu des commémorations, quelque chose de particulier dans votre école pour ce 7 janvier ?
Je n'ai donné aucune instruction à mon équipe. Chacun fera comme il le sent, mais je doute que les enseignants l'évoquent dans leur classe. La fin de l'année dernière a été tellement difficile avec les attentats de novembre. Jusqu'aux vacances, il y avait climat d'inquiétude au sein de l'école. Un élève m'a demandé de changer de place : «Je suis assis à côté de la fenêtre, j'ai peur des tirs dans la rue», m'a-t-il dit. J'ai essayé de le raisonner, de lui expliquer que la police était là pour nous protéger. Même si on y croit à moitié, on doit se montrer convaincant. Là, c'est le retour des vacances. J'ai l'impression que cela va mieux, les enfants ont des petites mines comme toujours après Noël mais ils semblent plus apaisés, moins inquiets. Alors, non, on ne va pas reparler de Charlie Hebdo aujourd'hui.
Comment avez-vous vécu cette année, au sein de l’école ?
Beaucoup de choses, bien sûr, ont changé depuis les attentats de janvier. En tant que directrice, je sens une plus grande responsabilité quant à la sécurité des élèves. Je fais en sorte, par exemple, d’être là tôt le matin avant l’arrivée du premier élève et jusqu’au départ du dernier. Je stresse aussi en pensant à ce mur séparant la cour de récréation de la rue et que n’importe quel fou pourrait escalader pour pénétrer dans mon établissement. Sans parler de toutes ces consignes de sécurité envoyées par le rectorat, qu’il faut être en mesure d’appliquer, et dont certaines sont très complexes.
Lors de notre entretien l’année dernière, vous évoquiez la difficulté pour les enseignants de trouver les mots justes devant les élèves.
Savoir que dire, et jusqu’où aller dans l’explication, c’est peut-être ce qu’il y a de plus compliqué. Car parler de religion, ça, on sait faire. Nous sommes un établissement privé catholique, avec une grande diversité de confessions parmi nos élèves. Chaque semaine, ils ont une heure et demie d’enseignement de «culture des religions», où nous les abordons toutes. La difficulté pour les enseignants face à ces attentats, c’est aussi de faire la part entre le rôle de l’école et celui des parents. Certaines familles ne parlent que très peu des événements à leurs enfants pour les préserver, d’autres au contraire regardent BFMTV en boucle à la maison. Ils arrivent en classe avec des niveaux d’information très différents. Entre les deux, l’enseignant doit trouver le juste équilibre. Ce n’est pas facile.
(1) Le prénom a été changé.
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