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«Apartheid social»: quatre mesures à la peine

Désenclaver les ghettos, développer l’esprit citoyen… A côté de l’action répressive, le gouvernement tente de relancer un plan d’action, avec encore peu de résultats.
Le Premier ministre, Manuel Valls, en déplacement aux Mureaux le 26 octobre 2015. (Photo Denis Allard)
publié le 8 janvier 2016 à 19h21

1. Logement: une mixité sociale  qui reste à conquérir 

«Apartheid territorial, social, ethnique», avait lancé Manuel Valls en janvier 2015, une dizaine de jours après les attentats. Le Premier ministre avait pointé les «ghettos», la «relégation périurbaine», qui sont «des maux qui rongent notre pays». Une France territorialement fracturée, avec notamment ses 718 quartiers en grande difficulté, longtemps désignés par l'acronyme ZUS (zones urbaines sensibles). Dans ces territoires vivent près de 4,5 millions d'habitants, souvent animés par un sentiment d'abandon, de mise à l'écart, de discrimination. Ce qui interroge sur les politiques urbaines et de l'habitat menées par les pouvoirs publics depuis l'après-guerre et qui ont conduit à ce résultat.

Dès avril, lors d'un comité interministériel post-attentats, le gouvernement avait mis le logement au cœur des politiques publiques pour «favoriser la mixité sociale». A la clé, une vingtaine de mesures pour tenter de réparer les fractures socio-territoriales : accentuation des pressions sur les villes résidentielles pour qu'elles construisent des HLM, développement du parc privé dans les communes qui ont déjà beaucoup de logements sociaux, rachat de logements dans des immeubles privés pour y loger des familles modestes, réforme des attributions de HLM pour ne pas rajouter des familles pauvres dans des quartiers déjà très paupérisés.

La typologie de l'habitat (social ou privé, individuel ou collectif, de standing ou modeste) influe sur le peuplement des villes et quartiers. «Le logement détermine tout, souligne Thierry Repentin, nommé délégué interministériel à la mixité dans l'habitat en avril, un poste spécialement créé pour mettre en musique la politique gouvernementale en faveur du vivre ensemble. L'absence de diversité conduit à des processus de paupérisation de pans entiers de villes, à des problèmes de mixité dans les écoles, à une concentration dans les mêmes territoires d'adultes en difficulté d'emploi ou de formation, mais aussi à une absence de diversité commerciale. Et au bout du bout, on fabrique une désespérance humaine et sociale dont les extrêmes font leur lit.»

Dans les quartiers en difficulté tous les problèmes sont exacerbés : chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale, taux de pauvreté presque trois plus élevé, échec scolaire. «Les attentats de janvier et de novembre nous dictent d'agir encore plus vite et fort dans ces quartiers où il y a une misère, terreaux favorables aux extrémistes, pointe Yves Laffoucrière, directeur général de l'Immobilière 3F, une grande société de HLM, très investie dans les opérations de rénovation des quartiers de la politique de la ville. Pour faire revenir les couches moyennes dans ces quartiers, il faut consolider les améliorations de la rénovation urbaine et mettre le cap sur la qualité des écoles, l'encadrement des jeunes, la lutte contre les trafics, l'amélioration des services et des transports.» Cela nécessite de la constance et du temps. La lutte contre les fractures territoriales est une affaire au long cours.

2. Carte scolaire: la tentative de rattrapage 

Un sujet glissant par excellence pour la gauche. Le candidat François Hollande en avait touché un mot, mesuré, en fin de campagne électorale en 2012, de peur de brusquer les parents-électeurs qui détestent se voir imposer l'établissement scolaire pour leurs enfants. Puis, une fois au pouvoir, rien. L'objectif de mixité sociale a certes été écrit dans la loi de refondation de l'école de 2013, mais aucune mesure d'envergure n'a ensuite été prise, ni même annoncée. Jusqu'aux attentats de janvier. Dans les jours qui ont suivi, les regards se sont braqués sur l'école et ses défaillances. «Comment transmettre le vivre-ensemble quand les élèves ne font plus l'expérience de la mixité sociale au sein des écoles et des établissements ?» déclarait la ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, le 13 janvier. La mixité sociale devient «une priorité». Là encore, dans le discours. Les mesures concrètes tardent. Les mois passent. Rien.

Surgit alors une mobilisation inattendue du côté de Montpellier, et venant… de parents d'élèves, qui va en quelque sorte aider le gouvernement. Les «mères du Petit Bard», un quartier à forte population d'origine marocaine, dénoncent la ghettoïsation scolaire : «On voudrait des petits blonds en classe avec nos enfants», clament-elles. Elles parviennent à médiatiser leur action, mettant la pression aux autorités. Des conseillers de la ministre descendent discrètement à Montpellier les rencontrer, et discuter avec les collectivités locales. Car, en matière de carte scolaire, la compétence est partagée avec les élus locaux… La stratégie du ministère se dessine : avancer discrètement, ne pas y aller frontalement en passant par la loi mais plutôt la négociation. En septembre, le ministère propose aux élus une «expérimentation» : 20 départements, de droite et de gauche, acceptent de «réfléchir». Plutôt que de décider que tel quartier dépend de tel collège, l'idée est d'avoir une zone géographique plus large avec plusieurs collèges. A charge ensuite à l'Etat d'affecter les élèves dans l'un ou l'autre établissement en tenant compte des origines sociales. Najat Vallaud-Belkacem attendra mi-novembre pour officialiser l'expérimentation.

Seul une cinquantaine de collèges devrait être concernés à la rentrée 2016. Les pessimistes y verront un coup de communication. Les autres, le début d’un mouvement.

3. Service civique: la montée en puissance

«Facteur de brassage, d'intégration, d'insertion», le service civique, dont la «généralisation par étapes» a été annoncée par le président de la République lors des vœux du 31 décembre, est un outil à double enjeu. «Moyen de s'insérer dans la vie professionnelle», il est aussi présenté comme un «levier essentiel de citoyenneté». D'où l'engouement de tous bords, au lendemain des attentats de janvier, pour ce dispositif d'encouragement à l'engagement citoyen. Créé en 2010, il permet aux jeunes de 16 à 25 ans de réaliser une mission d'intérêt général de six à douze mois dans le secteur de la solidarité, de l'éducation ou encore de la citoyenneté.

Dès janvier 2015, l'idée d'un service civique obligatoire, défendue par des députés PS, fait débat. Mais c'est un service civique «universel», accessible à tous les volontaires, que promet Hollande deux semaines après les attaques contre Charlie Hebdo. Une promesse doublée d'un constat : celui de l'échec partiel du dispositif, pour lequel seul un candidat sur quatre se voit proposer une mission, faute d'offres suffisantes.

L'idée n'est pas neuve, puisque le chef de l'Etat l'avait déjà évoquée en 2014. Mais l'heure est désormais aux engagements chiffrés, précisés lors de sa cinquième conférence de presse, en février : «Proposer 150 000 ou 160 000 missions» dès le 1er juin. Dans la foulée, les ministres, appelés à se mobiliser, enchaînent les annonces de création de postes. Dernières en date, celles de Patrick Kanner (Ville, Jeunesse et Sports) et Marisol Touraine (Santé, Affaires sociales et Droits des femmes), le 16 décembre, portant sur la création de 25 000 missions d'ici à 2017. Mais, de l'aveu même du gouvernement, le compte n'y est toujours pas. «Aujourd'hui, le braquet reste encore trop petit, ça ne va pas assez vite, explique-t-on à l'Elysée. On est toujours en dessous des 100 000 jeunes par an.» En 2015, ils étaient 70 000 à avoir réalisé un service civique. D'où le coup d'accélérateur de Hollande et ce nouvel objectif : la «généralisation» du dispositif, qui sera détaillée dans le projet de loi «égalité et citoyenneté», attendu dans l'hémicycle au printemps. «A terme, le but est que la totalité d'une classe d'âge fasse ce service civique», précise l'entourage du Président. Une manière pour Hollande de réaffirmer sa volonté et de réintroduire, en douceur, l'idée d'un service civique obligatoire.

4. La réserve citoyenne: toujours dans les cartons 

A plusieurs reprises, la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a raconté devant la presse ces milliers de lettres reçues dans les semaines qui ont suivi les attentats, se ressemblant toutes : des citoyens la pressant d’agir et proposant d’aider d’une manière ou d’une autre. En guise de réponse politique, elle a annoncé la création d’une «réserve citoyenne», un annuaire de volontaires disponibles pour se rendre dans les établissements scolaires et aider le corps enseignant à transmettre les valeurs de la République. Près de 5 500 avocats, chefs d’entreprise, journalistes, étudiants, retraités se sont aussitôt déclarés partant…

Mais, un an après, à peine quelques poignées ont franchi les portes des écoles. Le ministère n'est pas en mesure d'avancer un chiffre précis : «Les interventions sont pilotées au niveau de chaque académie, nous n'avons pas toujours les remontées», indique-t-on. Mais pas de panique, «la dynamique est lancée, la montée en charge sera progressive». Les choses semblent un brin plus corsées. A cause des réticences de l'Education nationale à s'ouvrir vers l'extérieur, mais aussi en raison du plan Vigipirate «alerte attentat». Ballot, politiquement, car cette réserve citoyenne était la principale mesure post-Charlie réellement nouvelle. Certes, il y a eu ces assises pour une «grande mobilisation de l'école pour les valeurs de la République», organisées au printemps, avec 1 325 réunions et 81 000 participants. Certes, les assises se sont achevées sur une liste longue comme le bras de mesures et bonnes intentions. Réchauffées, pour la plupart, ou déjà sur les rails (l'enseignement moral et civique, par exemple).

Seules petites nouveautés : la charte de la laïcité à l'école, signée à la rentrée de septembre par les parents d'élèves, et le livret sur la laïcité adressé aux chefs d'établissement pour répondre aux questions pratico-pratiques (comment réagir si un élève vient avec le voile, etc.). Ainsi que des ressources pédagogiques sur les valeurs de la République, mises en ligne sur le site Eduscol. Car après les attaques de janvier, beaucoup d'enseignants s'étaient sentis démunis face aux interrogations des élèves. Dans les deux jours suivant le 13 Novembre, le ministère a enregistré 526 000 connexions.