«Je fais partie de ces habitants des cités qui, malheureusement, n’ont pas été déstabilisés par les attentats, trop habitués à entendre des histoires par des familles originaires d’Algérie, de Tchétchénie ou du Kosovo. Je n’ai pas peur d’un paumé qui pourrait se faire exploser à côté de moi. J’ai peur de gens qui, dans leur mission publique, pourraient m’accabler, et que mes droits et mes acquis s’envolent. Ce qui a changé, c’est mon sentiment d’avoir encore plus à me justifier et que s’éloigne l’idée d’une société plus démocratique. Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’ai plus peur du changement de la société à venir que du terrorisme.
«Il y a un an, les familles musulmanes ou immigrées s’inquiétaient déjà d’un changement d’attitude envers eux ; cette inquiétude a redoublé en novembre. Les gens ont l’impression qu’on profite de la confusion du pays pour raviver des divisions. Ils font de plus en plus attention à ne pas être montrés du doigt, tout en constatant que leurs problèmes quotidiens ne sont pas réglés. Mais nous avons appris à connaître nos voisins et à nous faire confiance. Auparavant, on ne se parlait pas vraiment entre musulmans et non-musulmans. Certains se demandaient si les musulmans cautionnaient les attentats : ils ont vu que l’islam n’avait pas grand-chose à voir avec ce que les médias en présentaient. Les autres, qui se sentent discriminés, ont réalisé que leurs voisins n’étaient pas à l’origine de leurs difficultés. Par la suite, ces contacts se sont ouverts aux réfugiés ou aux Roms. Les attentats ont poussé à se projeter en commun pour casser les inégalités.
«Les gens ont réalisé qu’ils partageaient la même condition sociale. Alors que le problème central reste la formation et l’emploi, il nous semble que les pouvoirs publics préfèrent une répression qui se concentre sur la radicalisation. Même lors des heurts entre les jeunes et la police au nouvel an, on met ça sur le compte de l’islam radical. Depuis Charlie, il y a deux sociétés : l’une fondée sur la Constitution, où chacun est respecté ; l’autre fondée sur l’arbitraire et la surveillance.»