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Expo / La frontière, ligne devenue très limite

Le musée de l’Histoire de l’immigration explore des lieux d’échange souvent condamnés à exclure les victimes de conflits.
En Inde, des Bangladaises le long du mur de la frontière. (Photo Gaël Turine. VU)
publié le 8 janvier 2016 à 19h31

La frontière aura suscité bien des passions durant l’année 2015, tantôt blâmée pour sa perméabilité (attentats), tantôt pour son intransigeance (migrants). Dans une époque où l’idéal sans-frontiériste semble de plus en plus partagé, un état des lieux sur la question s’impose : c’est l’ambition de l’exposition «Frontières» au musée de l’Histoire de l’immigration. Du ruisseau au barbelé, de la chaîne de montagnes au mur, les hommes ont toujours ressenti le besoin de circonscrire une communauté, d’inclure un dedans et d’exclure un dehors. Et ça ne semble pas voué à cesser. Ce parcours explore les différents aspects de la frontière, ses échecs comme ses réussites ; il raconte également des destins liés à ces lieux d’échange quand ils ne sont pas des zones de conflit ; des œuvres d’art en lien avec la thématique le rythment, tout autant que des témoignages et des lettres de réfugiés à travers les âges.

Instance de régulation, à l'image de la peau, la frontière a vocation à être franchie. «La sorcellerie de la frontière est sans âge parce qu'il n'y a pas trente-six manières de transformer un tas en tout», écrit Régis Debray dans son Eloge des frontières. Elle a en effet partie liée avec le sacré, qui sépare le bon grain et l'ivraie. C'est pourquoi le mur n'est pas l'accomplissement de la frontière mais son échec cuisant : là est d'ailleurs le premier thème abordé par l'exposition. De la Terre sainte au Mexique, en passant par l'enclave du Bangladesh, on assiste à un défilé de murs qui viennent cristalliser le naufrage d'une ancienne interaction. Erection défensive, non sans bavures : la Border Security Force (BSF), instance garde-barrière du Bangladesh, est régulièrement accusée de tortures et d'assassinats par l'association Human Rights Watch - la plus grande frontière d'Asie est aussi l'une des plus meurtrières. Quant au mur autorisé par George Bush et construit en 2006, il ne semble pas avoir endigué l'afflux de migrants mexicains qui emploient des méthodes de plus en plus dangereuses pour parvenir à leurs fins.

Symbole de l'histoire européenne, ainsi que de sa construction, la frontière franco-allemande semble produire à elle seule de l'histoire au kilomètre. L'illustrateur Tomi Ungerer, né en Alsace en 1931, en a subi les conséquences : germanisation forcée pendant l'Occupation, assortie d'une interdiction de parler français sous son propre toit… Il témoigne dans une vidéo, légèrement ému : «Deux peuples qui se sont battus pendant des siècles ont réussi à construire un pont.» Lequel se retrouve à présent sur leur billet de banque commun. L'espace Schengen représente à cet égard une utopie réalisée, qui a fait parler d'elle ces derniers temps, quand les flux migratoires ont suscité des regains de souverainisme. L'exposition rend fort opportunément leur individualité à ces migrants que l'on a plus souvent qu'à leur tour aggloméré en flux, en masse, quand on ne les a pas comparés à un problème de plomberie. Un demandeur d'asile bulgare écrit en 1955 en français : «Il y a six mois que j'ai perdu mon enfant à cause de la misère et je l'ai enterré en vendant mon unique complet.»