En démontrant avec succès que l’organisation d’une primaire ouverte à plusieurs millions de votants - et non aux seuls adhérents - pouvait conduire le candidat ainsi désigné à la victoire finale lors d’une présidentielle, le Parti socialiste a posé en 2011 un acte fondateur. Suffisamment fort pour que la droite, jacobine par nature et adepte de la culture du chef, tendance Chirac-Sarkozy, s’y mette à son tour : l’UMP l’a inscrit dans ses statuts en juin 2013, ce qui constitua un élément important de l’armistice administratif entre François Fillon et Jean-François Copé. Au PS, les fraudes dans le match Ségolène Royal-Martine Aubry, lors du congrès de Reims en 2008, eurent le même effet accélérateur puisque les statuts du parti furent modifiés l’année suivante.
Si le recours à une primaire ouverte au plus grand nombre de sympathisants semble s’imposer comme une nouvelle norme dans plusieurs des principales formations politiques, ce mécanisme de désignation des candidats pour la présidentielle transforme profondément les règles du jeu. D’abord parce que cela revient à organiser une présidentielle à quatre tours. Mais, surtout, cela présidentialise une bonne fois pour toutes les partis politiques dans une dynamique qui n’est pas étrangère à l’esprit gaullien de l’appel au peuple - à l’opinion, de nos jours - au-delà des partis. Et ce, alors que depuis une décennie, le passage au quinquennat et la tenue des législatives dans la foulée de la présidentielle ont changé la donne en ce sens.
Des élus Scotchés à leur mandat
Au PS, la culture parlementaire a vécu : le rythme des congrès est désormais calé sur celui de la présidentielle, tandis que les députés de l’actuelle majorité - comme ceux de l’UMP sous Sarkozy - sont priés de voter sans moufter le programme du président élu mais surtout tout ce que l’exécutif sort plus ou moins opportunément de son chapeau au gré des circonstances (du «pacte de responsabilité» à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité). La fidélité au chef de l’Etat prend le pas sur les engagements pris par chaque parlementaire devant ses électeurs comme sur le programme de gouvernement du parti dont le Président est issu.
Et si le candidat Hollande a profité à plein de la dynamique primaire, l’institution PS, elle, n’a pas bénéficié d’un quelconque élan après la présidentielle de 2012. L’inertie liée au fait d’être le parti du pouvoir en place a été plus forte que l’appel d’air d’une campagne gagnante. Le processus de rénovation du PS engagé par Martine Aubry, dans un parti d’élus scotchés à leurs mandats et de collaborateurs d’élus qui rêvent d’avoir le leur, n’a pas survécu à la victoire présidentielle de son prédécesseur au poste de Premier secrétaire. Les roustes reçues par le PS lors des élections intermédiaires depuis le début du quinquennat n’ont pas davantage entretenu la flamme militante.
Exercice démocratique aussi inédit que régénérant sur le moment, la primaire citoyenne du Parti socialiste de 2011 a-t-elle été autre chose qu’un accélérateur de mobilisation ? In fine, c’est le candidat qui en avait prudemment le moins mis sur la table qui l’a emportée en étant le favori des sondages. Et celui qui avait obtenu le moins de suffrages dans cette consultation qui est ensuite devenu le Premier ministre emblématique du quinquennat.
Sur le plan de l’organisation de la vie politique, la primaire pousse chacun des postulants putatifs à s’organiser dans son coin, sonnant le glas du parti comme bien commun ou espace collectif d’élaboration intellectuelle. La logique d’écuries, chacune au service de l’ambition de son champion, se généralise. Une course de chevaux où la tactique, le positionnement et l’obsession sondagière sont les boussoles primaires. Et où la maîtrise du parti, chacun ayant son microparti, devient secondaire. La primaire tranche au moins la question du leadership, régulant des ambitions incompatibles. Ce n’est pas rien car une primaire n’est vertueuse que si son verdict n’est pas remis en cause et que la discipline de rassemblement derrière le vainqueur ou la candidate victorieuse est respectée. En cela, les cas Royal 2006 et Hollande 2011 ont largement divergé.
Radio-crochet d’apparatchiks
Mais si elle est une rampe de lancement quand il s'agit de faire se lever la vague de l'alternance, la tenue d'une primaire semble plus difficile à appréhender quand la participation du président sortant se pose : une hypothèse écartée dans les statuts de LR mais (en théorie) obligatoire côté PS et très en vogue dans une bonne part de la gauche. Il serait toutefois singulier, sous la Ve République, qu'un chef de l'Etat, s'il était battu à une primaire, continue d'exercer plusieurs mois durant la fonction suprême. Mais la configuration de la présidentielle de 2017, avec l'avènement d'un tripartisme PS-LR-FN dont le 21 avril 2002 et l'élimination du Premier ministre socialiste Lionel Jospin au premier tour avait été une première manifestation concrète, pourrait l'y contraindre. Ou en tout cas l'y inciter. A gauche comme à droite, chacun sait en effet qu'il n'y aura probablement qu'une place au second tour face à Marine Le Pen, candidate d'un parti où elle n'a pas de concurrent et dans une famille politique où une primaire ne risque pas de voir le jour. S'il souhaite a priori s'en passer ou s'y soustraire, François Hollande pourrait finir par juger, faute d'élan en sa faveur, que ce processus vertueux de relégitimation par le fond, peut servir sa réélection après un quinquennat de déceptions. Cela aurait aussi l'avantage d'offrir avant le premier tour une tribune à des formations qui ne jouent pas la victoire finale, sans la pollution du chantage au vote utile.
Reste qu’en l’état, les primaires à la sauce PS et LR n’ont pour l’instant pas contribué à dépasser le radio-crochet entre apparatchiks. Or une primaire est d’autant plus vertueuse qu’elle tire le débat vers le haut, au-delà des partis, et crée les conditions d’un large rassemblement citoyen. Des primaires pour ouvrir le jeu, pas pour le fermer d’avance.