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Décryptage

Déchéance de nationalité : c’est par où la sortie ?

Déchéance de nationalité, la polémiquedossier
Les députés socialistes Urvoas et Raimbourg sont chargés de trouver une solution qui fasse consensus entre l'exécutif et les députés de la majorité, nombreux à s'opposer fortement à cette mesure. Beaucoup évoquent l'indignité nationale ou la déchéance de citoyenneté mais l'équation est complexe.
Le président PS de la commission des lois de l'Assemblée, Jean-Jacques Urvoas, à l'Elysée à Paris le 18 février. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 13 janvier 2016 à 13h22
(mis à jour le 13 janvier 2016 à 17h13)

Au classement des missions «coton» de ce début d'année politique, celle-ci figure au hit-parade. Le patron des députés PS, Bruno Le Roux, a chargé Jean-Jacques Urvoas et Dominique Raimbourg, président et vice-président de la commission des lois, de dégoter la formule magique qui rabibocherait tous les socialistes autour de la déchéance de nationalité. Une vraie partie de plaisir alors que l'écrasante majorité de la gauche rejette violemment cette mesure imposée in extremis par François Hollande et Manuel Valls dans le cadre de la réforme constitutionnelle. Le tour du problème.

Quelles sont «les bornes» ?

Gouvernement et majorité consentent donc à chercher une porte de sortie au labyrinthe juridique dans lequel ils errent depuis trois semaines. Mais pour se compliquer encore la tâche, chacun a «posé des bornes». Pas question pour l'exécutif de renier la parole présidentielle du congrès du 16 novembre dernier, quand François Hollande a lancé la révision de la Constitution. «Depuis que le Président a été applaudi par tous les parlementaires à Versailles, on est ligotés», soupire un député. «Il faut donc qu'il y ait le mot déchéance dans la solution», pose un vallsiste. Pas question non plus que la mesure produise des apatrides. Exit donc la «déchéance pour tous», nationaux et binationaux. Les députés PS y ajoutent un autre critère : ne pas créer d'inégalité entre Français, soit éviter de stigmatiser les binationaux. Ce socialiste en a le vertige : «Là, on resserre vraiment le chas de l'aiguille.»

Déchéance de citoyenneté, indignité nationale, privation des droits civiques…

Nombre de socialistes tournent autour de ces alternatives qui sont finalement assez proches. Pour les députés PS de la commission des lois qui ont déjeuné ensemble vendredi dernier, «la porte de sortie se situe par là», croit l'un d'eux. Dominique Raimbourg réfléchit d'ailleurs depuis fin décembre à la déchéance de citoyenneté qui pourrait se substituer à la déchéance de nationalité : «Cela existe déjà dans le code pénal, une condamnation pouvant être assortie d'une privation de droits. On peut en rajouter, priver du droit d'aller et venir, prévoir dans certains cas l'assignation à résidence, le retrait du passeport», détaille le député de Loire-Atlantique.

L'incrimination pour «indignité nationale», proposition soutenue notamment par l'avocat Jean-Pierre Mignard, ami intime de François Hollande, a, en plus, une dimension symbolique. La mesure, instaurée par De Gaulle en 1944, visait à sanctionner des Français ayant collaboré sous l'Occupation. Elle s'accompagnait d'une peine de dégradation nationale, privant elle aussi des droits civiques, civils et politiques. «Cela peut aller loin et il n'y a pas de raison de se limiter dans la panoplie, explique Olivier Faure, vice-président du groupe socialiste. La raison pourrait être d'aller vers l'indignité si on ne s'accrochait pas aux mots.» Ces solutions auraient le mérite de loger tous les Français à la même enseigne mais ne sont-elles pas trop loin de la proposition initialement formulée par François Hollande au congrès ?

Des solutions pas toute roses

A en croire plusieurs socialistes pessimistes, la droite, dont un apport de voix est indispensable pour faire adopter la réforme constitutionnelle, n'acceptera jamais de voir disparaître du projet la déchéance de nationalité. Les sénateurs LR menacent d'ailleurs de la réintroduire lorsqu'ils examineront le texte constitutionnel après les députés qui en débattent début février. Et si le projet de loi n'est pas voté conforme par les deux chambres… Retour au point de départ. «On ne bougera pas le texte d'un millimètre, ferme un vallsiste. La déchéance de citoyenneté, c'est impossible, la droite ne la votera pas.»

Après les attentats de janvier, l'opposition avait pourtant elle-même proposé de recycler l'indignité nationale. Mais un rapport parlementaire touffu l'avait écarté en mars, jugeant la mesure anachronique et mettant en garde contre la «réhabilitation de vieilles recettes» et l'instauration d'un «droit pénal d'exception». Il était signé par Jean-Jacques Urvoas

Reste aussi à caser le mot «national» dans la Constitution pour que l'exécutif ne donne pas l'impression de se dédire. Pour l'heure donc, aucune alternative ne s'impose. «C'est toute la différence entre le droit et la magie, conclut le frondeur Pascal Cherki. Vous ne pouvez pas non plus transformer un juriste émérite comme Urvoas en Harry Potter.»