Que va dire Manuel Valls en recevant lundi le nouveau leader de l'exécutif corse, l'autonomiste Gilles Simeoni, et l'indépendantiste Jean-Guy Talamoni, qui préside l'Assemblée de l'île ? Le Premier ministre va-t-il répéter que «la nation corse» n'existe pas, comme il l'a claironné après la victoire des nationalistes aux élections territoriales du 13 décembre ?
Dommage que cette rencontre n'ait pas lieu dans le bureau du «président Talamoni», à Ajaccio, dont il a viré le drapeau français et le portrait de François Hollande. «Vous croyez que j'ai été élu pour chanter la Marseillaise ?» sourit l'avocat bastiais, qui a «beaucoup de respect» pour le président de la République, mais précise : «Mon pays, c'est la Corse.» Il a néanmoins gardé le drapeau européen : «Je crois en l'Europe», dit-il.
A Ajaccio, Manuel Valls pourrait aussi apercevoir une affiche dans les couloirs de la collectivité territoriale corse (CTC, le gouvernement de l'île) qui évoque une opération «mains propres» en cours au sein du pouvoir insulaire. Mais pas de méprise : il s'agit juste d'une campagne d'hygiène pour se laver les mains. Pas de têtes à couper, donc : les «natios», victorieux d'une gauche discréditée par le clanisme et d'une droite minée par les divisions, adoptent un discours apaisé, appelant Paris au dialogue. Simeoni a fait les comptes : «On a gagné avec un score historique de 36 %. Cela montre qu'on a touché des gens qui ne sont pas nationalistes. Mais à l'inverse, on ne peut pas avoir raison contre les autres.»
«Légitimes»
Même l'intransigeant Talamoni n'a «pas l'intention de donner dans la surenchère» : «Je ne vais pas déposer une motion pour l'indépendance.» Par réalisme : «Il n'y a pas une majorité à l'heure actuelle pour la voter.» S'il ne désespère pas de faire changer l'opinion et son leader de coalition, «ce ne sera pas pour cette mandature». «Nous sommes démocrates. Nous ne chercherons pas à imposer une indépendance dont les Corses ne voudraient pas.»
Surtout, les natios n'ont que deux ans aux manettes : en 2018, une collectivité unique sera mise en place, après disparition des conseils départementaux de Haute-Corse et Corse-du-Sud. Mais dans l'intervalle, «Paris a la chance d'avoir des interlocuteurs légitimes et qui sont dans une logique de dialogue, insiste Simeoni. C'est une chance historique, dans un contexte où la clandestinité a annoncé sa disparition unilatérale» à l'été 2014, lorsque le FLNC a déposé les armes. Une avancée inattendue après quarante ans de violences, respectée depuis : selon le coordonnateur pour la sécurité en Corse, Nicolas Lerner, il n'y a plus d'attentats liés au nationalisme depuis 2013, et les attentats en tout genre «sont au plus bas historique depuis au moins trente ans».
Le contexte a donc beaucoup changé : la violence politique n'a plus cours et les natios ont la majorité relative pour la première fois. Une autre histoire est possible, mais il faut que le gouvernement acte cette nouvelle donne. A l'inverse, faire la sourde oreille équivaudrait à admettre une explosive réalité : qu'en Corse, seule la violence produit du rapport de force. «Quand on arrête les bombes, Paris s'en fout», se diraient les plus extrémistes.
«Il faut que Paris arrête de voir la Corse comme un problème», insiste Simeoni, qui propose de «tourner la page après cinquante ans de conflit, et d'en ouvrir une nouvelle, loin des postures rigides». Il sait que ça peut prendre du temps, et espère juste «poser des jalons, élaborer une méthode, acter un principe de dialogue et un calendrier avec le gouvernement». « On est conscients que les choses ne se feront que progressivement, en raison des difficultés constitutionnelles, et du fait que la Corse est souvent otage d'enjeux français électoraux, voire électoralistes.»
«Constructif»
Mais la tâche s'annonce rude, voire impossible. Car les revendications des nationalistes se cognent notamment à la nécessité de changer la Constitution (lire ci-contre). Et Manuel Valls a été très clair, le 23 décembre sur TF1 : «L'amnistie des prisonniers politiques ? Il n'y a pas de prisonniers politiques. La coofficialité [de deux langues : corse et français, ndlr] ? Il n'y a qu'une seule langue dans la République, c'est le français. Un statut de résident pour les Corses, sur le plan fiscal ? C'est contraire à la République.» Même si, lors de sa venue en Corse fin décembre, Bernard Cazeneuve a été, selon Talamoni, «beaucoup plus constructif» que Valls, le ministre de l'Intérieur tenant selon lui «des propos ouverts», il n'est pas sûr que la position du gouvernement change d'ici lundi.