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Libération
Décryptage

Revendications : les mots qui fâchent

Les traditionnelles requêtes nationalistes crispent l’Etat, d’autant que la précédente mandature de gauche en Corse y a adhéré.
publié le 14 janvier 2016 à 19h21

A peine élu, le nouveau patron de l'exécutif, l'autonomiste Gilles Simeoni, a eu le nez dans le guidon, contraint de se coltiner deux dossiers hyper chauds : les déchets, dont le système d'enfouissement est saturé, et le transport maritime, objet de divers blocages. Après une dizaine de jours très tendus, l'accalmie - provisoire - est revenue, permettant au nouveau pouvoir, qui dispose d'une majorité relative de 24 élus sur 51, de penser au-delà de l'urgence. Et de revenir au principal souci de l'île : comment y assurer un développement économique ? Le sujet sera sans doute évoqué lundi à Matignon avec le Premier ministre. Peut-être y trouveront-ils matière à s'entendre autour d'un objectif commun. Pour le reste, même si, dans un communiqué du 18 décembre, Matignon avait «réaffirmé son attachement à la place de la Corse dans la nation et dans la République française et sa reconnaissance de la spécificité de l'île», on peut craindre que le contentieux reste figé. Il tient aux revendications traditionnelles des «natios» qui ont pris d'autant plus de force qu'elles ont été adoptées lors de la précédente mandature de gauche.

Amnistie

En mai 2015, 48 élus de l'Assemblée (sur 51) ont voté pour une amnistie des prisonniers dits «politiques» - sans préciser qui elle concernerait, ni si les crimes dits de sang y figureraient. Alors président de l'exécutif, le radical de gauche Paul Giacobbi avait «solennellement» demandé au gouvernement «l'ouverture d'un dialogue démocratique et sans tabou». Sans succès. Mais la question - comme celle du rapprochement des prisonniers détenus sur le continent - va revenir sur le tapis. L'indépendantiste Jean-Guy Talamoni prône une amnistie générale des «prisonniers politiques», y compris Yvan Colonna, reconnu coupable de l'assassinat du préfet Erignac en 1998 : «Cette amnistie existe dans tous les pays du monde quand un problème politique avec une lutte armée est fini», argumente-t-il. Manuel Valls l'a déjà exclue, tout comme des élus de l'île : le député-maire d'Ajaccio Laurent Marcangeli (LR) s'y oppose par principe et parce que de précédentes amnisties dans les années 80-90 «n'avaient pas apporté de réponses» aux problèmes politiques.

Langue

Il s'agit de revendiquer sa «coofficialité» avec le français. Une notion qui séduit au-delà du cadre des natios. Ainsi, Marcangeli est pour : «Je suis français, mais ça ne m'empêche pas d'être corse, explique-t-il. La langue est en danger. Il faut se doter de mesures fortes pour qu'elle ne meure pas.» Mais dans un pays où le Sénat vient de s'opposer à la ratification de la charte européenne des langues régionales (1992), difficile de prédire une issue positive. Dans l'entourage de Bernard Cazeneuve, on laisse peu de marge de manœuvre à une négociation possible, en faisant remarquer que ce sujet «relève de la constitution».

Résident

Selon ce vœu voté par la précédente Assemblée en 2014 (29 voix contre 18), il s'agirait de n'autoriser que les personnes résidant depuis plus de cinq ans dans l'île à acheter un bien immobilier. La raison ? Le boom des prix, allié aux faibles ressources des insulaires, en exclut de fait une bonne partie de l'accession à la propriété. Mais, là encore, les obstacles paraissent infranchissables : d'abord, il faut réviser la Constitution et ce n'est pas à l'ordre du jour. Ensuite, ce serait contraire au droit européen et au droit sur la propriété. Pour autant, une ministre du gouvernement reconnaît qu'il y a là un vrai sujet, pas seulement corse mais qui concerne beaucoup de territoires où la situation de l'immobilier est tendue, comme sur une partie du littoral de la Côte d'Azur, ou l'île de Ré. «On devrait réfléchir à une mesure d'ordre fiscale pour aider les résidents à devenir propriétaire de leur logement», confie-t-on dans l'entourage de Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique.

Nationalisme

«C'est un concept qui a souvent charrié le repli sur soi, l'exclusion», convient Gilles Simeoni. Un de ses amis lui dit : «Je suis nationaliste parce que notre nation n'est pas reconnue. Le jour où elle le sera, je ne le serai plus.» Simeoni estime que le nationalisme «n'est pas une fin en soi» et préfère parler de «peuple». Mais il connaît d'avance la réponse du Premier ministre : il n'y a de «peuple» que français.