A Libération, on a le pouvoir de publier une critique télé en page Editos. La preuve : nous avons recensé les arguments dézinguant la participation à On n'est pas couché de Manuel Valls, premier Premier ministre en exercice à se prêter au jeu de l'émission d'infotainment. Mais aussi, ce qui va compliquer votre dilemme de zappette, les motifs justifiant qu'un chef de gouvernement aille un samedi soir sur le plateau de Laurent Ruquier. Bref, un pour/contre dans les règles de l'art. Primo, on ne peut pas rabâcher à longueur de discours qu'il faut «être à la hauteur de l'époque» depuis le 7 janvier 2015 et virevolter du Petit Journal (en novembre) à ONPC. Parler du rapport de la gauche à la nation - le fonds de commerce de Valls - sur fond de chômage de masse au milieu des rires du public : on est loin de la «gravité» qu'il veut incarner et de «l'exigence», dont il a fait le titre de son recueil de discours post-attentats. D'autant qu'il a dit lui-même en septembre qu'il ne voulait pas se prêter à la «politique spectacle». Entre-temps, il a enquillé les 20 heures, les matinales et les émissions spéciales, fidèle à sa stratégie d'omniprésence médiatique. Mais pourquoi s'offusquer d'une telle présence, quand une palanquée de ministres ont déjà succombé aux sirènes du samedi soir sur France 2 ? Stéphane Le Foll y était juste avant Noël, Najat Vallaud-Belkacem y a participé deux fois en trois ans et demi… Valls la connaît d'ailleurs très bien : ce sera sa cinquième apparition. Deuxième argument «contre», si Valls est doté d'un certain sens de l'humour - noir, grinçant, abrupt -, il y a quand même une chose dont le Premier ministre est incapable : rire de lui-même, ce qui constitue la condition sine qua non pour réussir tout passage à ONPC. On nous objectera que le chef du gouvernement pourrait donc, le temps d'une interview en post-prime-time, se détendre et, partant, se défaire de son image qui s'est encore rigidifiée depuis l'état d'urgence. Enfin, il y a peu de chances pour que ce soient ses idées pour créer des emplois qui passent à la postérité, surtout à l'avant-veille de la présentation de nouvelles mesures contre le chômage par François Hollande. ONPC est le royaume de la petite phrase. De son passage au Petit Journal, onze jours après le Bataclan, on a surtout retenu que cela faisait «longtemps» qu'il ne s'était pas «bourré la gueule». Mais on nous répondra que chaque samedi soir, l'émission réunit entre 1,2 et 1,7 million de téléspectateurs. Et pas vraiment les mêmes que ceux qui se délectent des questions d'actualité au gouvernement à l'Assemblée nationale. Bref, un public nouveau et un boulevard pour celui qui se targue de faire de la politique autrement.
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