Le professeur Gérard Friedlander est le doyen de la faculté de médecine de l'université Paris Descartes, poste clé pour une faculté qui regroupe entre autres des hôpitaux universitaires aussi emblématiques que Necker mais aussi Georges-Pompidou. Et c'est une des plus grosses facultés de médecine, avec plus de 300 professeurs agrégés et praticiens hospitaliers (les fameux PU-PH), mais aussi 150 maîtres de conférences, 300 chefs de clinique. Dans le drame qui s'est traduit par le suicide du professeur de cardiologie, Jean-Louis Megnien se jetant du 7e étage de l'hôpital Pompidou, Gérard Friedlander était en première ligne. Avec Martin Hirsch, directeur des hôpitaux, il a demandé une mission, dont le rapport préliminaire a été rendu public, hier. Un rapport qui pointait des dysfonctionnements en série, et un vrai problème de «gouvernance médicale». Pour la première fois, il s'exprime.
Comment avez-vous appris le décès du professeur Megnien?
J’ai appris le décès de Jean Louis, très vite, une heure après, à l’occasion d’une réunion. C’était un cauchemar, l’irruption de l’inimaginable dans le quotidien. Je connaissais Jean-Louis, et avant même de prendre mes fonctions de doyen, il y a un an, j’étais souvent en contact avec lui, pour des questions pédagogiques. Je le suivais à plusieurs reprises, d’autant que pendant huit ans j’avais été chef d’un pôle à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), donc je connaissais les différentes tentatives de conciliation, puis de médiation entreprises pour essayer de trouver une solution à sa situation. Et j’étais d’autant plus au courant que j’ai signé les documents administratifs correspondant à son arrêt maladie.
Vous étiez au courant, de son retour, après son arrêt maladie de 9 mois?
Non. Je n’étais pas au courant de son retour, je l’ai appris en même temps que son décès.
N’est ce pas incroyable, la directrice de l’hôpital n’était pas non plus au courant…
Oui, tout cela est déroutant. Si on l’avait su, on aurait pu préparer son retour.
Vous partagez l’analyse de la mission qui pointe des dysfonctionnements en série dans la gouvernance médicale et dans l’opacité des décisions sur les nominations des uns et des autres ?
Oui. Il y a des problèmes réels, la mécanique des nominations n’est pas toujours simple, ni toujours transparente.
C’est-à-dire?
Le plus simple, ce sont les nominations à des postes universitaires. Chaque fois, il y a un appel à candidatures, organisé par chaque faculté de médecine; il y a une audition des candidats, il y a une instance, le conseil de gestion de la faculté qui classe ces candidatures. C’est extrêmement codifié. Quand les classements sont entérinés, c’est publié au JO. C’est un système de sélection qui fonctionne bien. Il implique aujourd’hui tellement d’acteurs que cela garantit sa transparence. En 35 ans de carrière, je n’ai pas souvenir qu’un candidat qui le méritait n’ait pas été nommé.
Dans l’histoire de Jean-Louis Megnien, il a été nommé tardivement agrégé, en 2011, alors qu’il avait près de 50 ans, et pour beaucoup, cela voulait dire qu’il allait succéder alors comme chef de service au professeur Alain Simon.
Oui, c’est bien cela. Les choses lui ont été présentées comme cela en 2011: il était le candidat naturel à la succession. S’il a été nommé tard, c’est que l’on a beaucoup tenu compte de sa participation pédagogique à l’université, car on ne devient pas professeur seulement parce que l’on a fait beaucoup de publications scientifiques, mais aussi pour des qualités d’enseignement. C’était le cas.
Que s’est-il passé, alors ?
Les choses ont commencé à mal se passer dans ce petit service, quand ont été en conflit trois acteurs, l’ancien chef de service Alain Simon, Jean-Louis, et le Dr Gilles Cheroni qu’avait finalement mis en avant le professeur Simon. Tout cela n’était pas sain, ni clair.
C’est-à-dire ?
En Allemagne, vous ne pouvez pas avoir une promotion dans l’endroit où vous avez exercé. C’est un système plus ouvert. Dans le système français, l’habitude est de chercher au sein de l’hôpital même un successeur. Cette habitude ne me paraît pas toujours très saine. A l’HEGP, on a préconisé des appels de chefferie ouverts sur l’extérieur. Ce qui s’est passé récemment et bien passé en anesthésie, en réanimation et en orthopédie; ce sont des candidats extérieurs qui ont été retenus.
La nomination de chef de service est davantage le fait de l’hôpital que le fait de l’université ?
Oui, de fait la faculté n’est pas au premier plan même si son avis est demandé. C’est d’abord dans les mains de l’hôpital et, à Paris, de la direction de l’AP-HP. Dans le drame que nous avons vécu, c’est le manque de transparence des procédures qui a été mis en avant par la mission.
Jusqu’à présent, c’était bien souvent l’ancien chef de service qui choisissait son successeur.
Oui. Aujourd’hui, le chef de service ne devrait plus interférer dans la suite, c’est une époque révolue et on l’avait anticipé à Pompidou, avec ces appels. Je ne dis pas que je suis majoritaire sur cette position, mais il faut aller vers ce système d’appel d’offres. On ne peut plus continuer comme avant, car, faut-il le rappeler, un bon médecin ou un bon chercheur ne feront pas nécessairement un bon chef de service. Cela demande d’autres qualités. Nous avons des impératifs d’équité et de transparence dans le choix des responsables, qu’il soit chef de service ou chef de pôle. Et pour y parvenir, il faut impliquer le maximum d’acteurs et en finir avec les arrangements entre trois amis. Les mesures et le processus doivent être communs et appliqués par l’université comme par l’hôpital.
La mission a pointé aussi une souffrance au travail des médecins, insuffisamment prise en compte. Une surprise pour vous ?
Vous savez, dans l’exercice de mes fonctions de doyen, je reçois beaucoup d’échanges sur l’inconfort de certains médecins universitaires, sur des affaires de souffrance. C’est vrai, ces situations, jusqu’à présent, sont peu ou mal traitées.
Nous allons voir les conclusions des différentes missions, mais nous avons à mieux travailler avec la médecine du travail. Nous, on s’habitue à ne pas aller au rendez-vous annuel à la médecine du travail, comme la plupart de mes collègues, je n’ai pas dû voir de médecin du travail depuis dix ans. Ce n’est pas sérieux. La médecine de travail ne doit plus être court-circuitée par le fait que nous sommes médecins hospitaliers. Comment faire? Il y aurait, en tout cas, des manières coercitives de faire appliquer cette obligation. On est payé tous les mois, et on peut envisager des sanctions si on ne va pas voir le médecin du travail. J’ajouterais qu’il faut que l’on soit vigilant, aussi, avec nos chefs de cliniques. Il peut y avoir des difficultés, ils sont jeunes, nous avons un devoir d’attention à leur égard.
Sur le drame de Pompidou, le rapport critique aussi les propos de certains médecins…
J’ai été frappé et choqué par la manière dont un petit nombre de médecins se sont approprié la parole, j’ai trouvé cela choquant alors que des missions étaient en cours, des enquêtes également. Que des PU-PH viennent faire part de leur progrès dans leur domaine de compétence, très bien, mais que cette parole soit accaparée pour demander que des têtes tombent, je trouve cela inadmissible. Nous avons un devoir de réserve et dans le drame qui nous touche, notre déontologie n’a pas été respectée.
Êtes-vous inquiet pour l’HEGP ?
Sur le long terme, non. L’HEGP, ouvert en 2000, a regroupé trois communautés médicales, venus de trois hôpitaux différents. Cela fut difficile. Nous arrivons à une communauté unique, et nous avons un outil de travail exceptionnel.