De l’art de ne pas juger. Mercredi matin, la cour d’appel de Versailles, chargée de décider si Jérôme Kerviel doit verser des dommages et intérêts à la Société générale, a décidé de reporter sa décision au 29 janvier, date à laquelle les magistrats devront dire s’ils acceptent de… surseoir à statuer sur le fond de l’affaire, dans l’attente d’éclairages nouveaux.
Comme s’ils voulaient tâter le sens du vent, le temps que d’autres juridictions – la Cour de révision, des juges d’instruction parisiens – en charge de refaire le match entre le trader et la banque n’y mettent leur grain de sel, avant d’oser trancher ce pataquès bien parti pour empoisonner la justice française pendant encore des années.
Il est question «d'éléments nouveaux» permettant de revisiter l'affaire. Jusqu'ici, les juges avaient tranché sans trembler : Kerviel est le coupable (condamné à trois ans de prison ferme, peine réputée définitive avant éventuelle révision), la Société générale est la victime (4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts, entre-temps annulés et actuellement rejugés). Mais le témoignage de l'ancienne policière chargée de l'enquête, Nathalie Le Roy, a tout chamboulé en faisant état d'un parquet aux ordres des banquiers. La justice peut-elle reconnaître ses fautes et rejuger ?
Bastons procédurales
A ce stade, l'affaire Kerviel n'est plus que bastons procédurales. Mercredi, à la barre de la cour de Versailles, les avocats ont encore échangé des noms d'oiseaux, sous couvert d'arguments de forme. David Koubbi, avocat du trader déchu : «La Société générale manipule cette procédure depuis le début, mais elle commet toujours et encore la même erreur, péchant par morgue et arrogance.» François Martineau, avocat de la banque outragée, juge «inqualifiables» les moyens de la défense. «Kerviel a d'abord avoué avoir agi seul, mais cet instant de vérité s'est refermé : la banque ne pouvait pas ne pas savoir, puis la banque savait, puis la banque l'aurait finalement couvert.» Les deux bords sont au moins d'accord sur un point, s'accusant mutuellement d'une tactique «plus médiatique que judiciaire».
Le représentant du parquet tente de donner le change, faisant mine de ne pas savoir que l'intégrité du ministère public est ouvertement mise en cause : «Votre cour a le devoir et la mission de juger cette affaire au fond.» Mais comme il n'est pas complètement sourd, il admet benoîtement que des «éléments de contexte» pourraient faire planer quelques «incertitudes» sur l'issue du barnum. Les magistrats ont donc décidé de ne pas trancher. Mais en «maintenant la perspective d'un débat au fond», avait tenu à préciser le procureur. Parions que l'affaire Kerviel ne sera pas définitivement tranchée avant dix ans.