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Libération
Décryptage

Déchéance Circonvolutions et Constitution

Pirouette. Afin de sortir du bourbier, le Président réfléchit notamment à écarter de la loi fondamentale l’inégalité de traitement entre nationaux et binationaux… pour mieux la réintégrer dans la loi d’application.
publié le 21 janvier 2016 à 20h11

Sur la révision constitutionnelle, François Hollande ne devrait pas apprendre grand-chose de ses entretiens, calés ce vendredi, avec les chefs de partis et patrons des groupes parlementaires. Et vice versa. Ce round de consultations doit d’abord permettre au Président de se donner une contenance au moment où l’exécutif et sa majorité ne savent comment se dépêtrer du bourbier «déchéance de nationalité». Les positions de chacun sont connues et la quête d’une solution apaisant les socialistes se fait attendre. Le point.

Que fait Hollande ?

Mercredi, en recevant Claude Bartolone et Gérard Larcher dans son bureau, François Hollande «a fait du Hollande», s'amuse un parlementaire au fait des consultations. Comprendre : le chef de l'Etat a beaucoup écouté et peu parlé. Les trois hommes ont surtout évoqué l'état d'urgence (l'article 1 de la révision constitutionnelle) et la procédure parlementaire (navette ou pas navette entre les deux Chambres). Mais sur l'article 2, concernant la déchéance de nationalité et sa future formulation : motus. Un silence qui se prolongera vendredi. «L'objectif de ces consultations, c'est de cadrer les débats, pas d'aboutir sur le fond. Le Président veut pouvoir constater quel chemin existe pour une adoption la plus large», confirme un conseiller présidentiel. Mais pour certains dirigeants de gauche, jouer la montre sur le fond comme sur la forme est délétère. «Hollande laisse un poison lent circuler dans les veines de sa majorité et des Français, qui se demandent qui sont les dingues qui discutent de virgules plutôt que de terrorisme. C'est mortel», balance un ténor socialiste. Pour qui le chef de l'Etat est face à «deux choix : faire voter l'essentiel de la gauche et un bout de la droite, ou le contraire, de là découle la formulation finale» sur la déchéance.

Sur quelle piste travaille Urvoas ?

A un collègue qui guette si «une fumée blanche sort de son bureau», Dominique Raimbourg se contente d'un vague «on mouline, on mouline». Chargé avec lui de concocter un remède miracle qui requinquerait la majorité déchirée sur la déchéance de nationalité, Jean-Jacques Urvoas est encore plus secret. Le président de la commission des lois n'enverrait, selon un dirigeant socialiste, que des «bouts de texte» à l'Elysée et d'autres à Matignon, histoire d'éviter une fuite sur l'intégralité de sa solution. Toutefois d'après un conseiller de l'Elysée, le duo «bosse mais n'a pas encore atterri». Tout le monde est donc pendu aux lèvres des deux pompiers PS. A priori, il ne serait plus question de «binationalité» dans la nouvelle mouture, afin d'éteindre la querelle à gauche sur l'inégalité avec les nationaux qui, eux, ne risquent pas d'être déchus. Hypocrite ? «Habile», corrige un membre de la commission des lois : «Si on gomme toute référence à une inégalité dans la norme suprême c'est déjà ça.» Sauf qu'ensuite, la loi d'application qui transcrira le principe constitutionnel devra préciser cette distinction. «Déchéance nationale» ou un combiné avec déchéance de nationalité pour les binationaux et déchéance de citoyenneté pour les «seuls» Français, avec privation de droits civiques et sociaux ? «On s'oriente vers ça, mais il y aura une subtilité en plus», confie un interlocuteur d'Urvoas.

Où en est le PS ?

Existe-t-elle, au moins, cette formule magique à même de rabibocher les socialistes ? La voie est étroite, tant chacun a posé ses conditions. Quatre «bornes» que le numéro 1 socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, défendra de nouveau à l'Elysée : pas d'apatridie, pas d'inégalité, mentionner la «déchéance» et préserver l'union nationale.

Une solution comme «l'indignité nationale» ou «la déchéance de citoyenneté» conviendrait à une large partie du groupe à l'Assemblée, ayant le mérite de loger tout le monde à la même enseigne. Mais elle est trop éloignée de la version de l'exécutif. Quoique moins nombreux, certains auraient pu se résoudre à la déchéance de nationalité pour tous. Mais Manuel Valls a exclu cette piste. «On va trouver un truc artificiel qui rendra la pilule avalable», projette un socialiste fataliste. Pour le frondeur Christian Paul, «le groupe PS souffre en silence».

Qu’en pense l’opposition ?

La droite doit venir en délégation à l'Elysée : Nicolas Sarkozy et, de nouveau, Gérard Larcher, flanqués de deux représentants du groupe LR. Favorables à la déchéance de nationalité pour les binationaux, les ténors des «Républicains» sont sur leurs gardes : ils craignent que François Hollande cède à sa gauche et édulcore sa réforme. Pour éviter une entourloupe, ils tiennent donc à connaître le détail de la loi d'application censée l'accompagner. Ce qu'a demandé le président du Sénat au chef de l'Etat mercredi. Il a aussi prévenu qu'il refuserait la déchéance de nationalité pour tous et une simple déchéance de citoyenneté. L'opposition peut-elle menacer de ne pas voter la réforme, même si elle était un poil édulcorée ? «Ils sont aussi coincés que nous, en réalité, analyse un conseiller présidentiel. Ils sont quasiment contraints de voter l'article 1, qui constitutionnalise l'état d'urgence, sous la pression de leurs électeurs. Et si nous faisons un petit "bougé" sur l'article 2, ils auront du mal à le rejeter.»

Entre-temps, les députés LR savourent le psychodrame qui agite la majorité, «une affaire Leonarda puissance 15» : «En plus, ils s'y sont mis tout seuls, on ne les a même pas aidés», résume un sarkozyste fasciné. Reste que la déchéance de la nationalité ne fait pas totalement consensus dans leur camp. Parce qu'une poignée d'entre eux jugent qu'une simple loi suffirait, par fidélité gaulliste à la Constitution. Parce que d'autres sont gênés par une mesure qui stigmatise les binationaux. Ou qu'ils hésitent à offrir une victoire à François Hollande au Congrès. «Le Président a tort de penser que la totalité de la droite est avec lui», prévient le député Guy Geoffroy. Dans une tribune publiée vendredi dans le Figaro, vingt de ces parlementaires récalcitrants annoncent qu'ils ne voteront pas le projet de loi constitutionnel. Si Hollande ne peut même plus compter sur la droite…