On a tous une petite voix intérieure (plus ou moins autoritaire) qui nous susurre à l'oreille : «La lutte contre les terroristes mérite bien, au moins pour un certain temps, qu'on sacrifie (un peu) nos libertés publiques.» Cette petite voix se sait d'autant plus légitime à parler que, pour une écrasante majorité de Français, cet état d'urgence ne change rien à notre façon de vivre. C'est que, dans l'opinion publique, s'est installée cette dangereuse idée que ce régime d'exception joue le rôle d'un improbable gilet pare-balles contre la menace terroriste. Qui voudrait alors prendre le risque de se défaire d'une telle protection et être accusé demain d'irresponsabilité ? Evidemment personne. Le gouvernement pense tenir là un argument décisif dans sa décision de prolonger de trois mois l'état d'urgence. Mais en le faisant, il prend un immense risque. Que se passera-t-il si demain, en plein état d'urgence, un nouvel attentat se déroule sur notre sol ? Le gouvernement n'aura alors plus d'autre choix que de prolonger sa fuite en avant sécuritaire. Ce que François Hollande s'était précisément engagé à ne pas faire après les attentats de Charlie. Il faut au contraire prendre le temps d'expliquer aux Français que l'état d'urgence ne conditionne pas notre niveau de sécurité. Par ailleurs, s'installer de façon permanente dans ce régime, c'est dévoyer l'esprit et la lettre de la loi : il était prévu pour réagir à «un péril imminent» alors que notre menace est, pour reprendre les mots de Manuel Valls, à la fois «durable et globale». Enfin, et cet argument devrait l'emporter sur tous les autres, nous ne sommes pas tous égaux devant ces privations de liberté. Qui est ciblé en priorité par les assignations à résidence et les perquisitions ? Ils s'appellent Mohamed ou Rachid. Ils sont français d'origine algérienne ou marocaine. Parfois de confession musulmane. Et, pour l'écrasante majorité d'entre eux, ils n'entretiennent aucun lien avec la mouvance jihadiste ou l'islam radical. La République peut éventuellement mettre entre parenthèses la liberté de tous, pendant quelques semaines. Mais certainement pas celle de quelques-uns, durablement.
EDITORIAL
Fuite en avant
Publié le 24/01/2016 à 20h01
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