Comment permettre aux jeunes qui débutent dans la vie active ou aux salariés précaires (en CDD, en intérim ou en période d’essai) de trouver un toit, alors qu’ils se heurtent aux exigences de revenu et de travail stable posées par les propriétaires ? Un dispositif de garantie des loyers baptisé «Visale», mis en place par une convention signée entre les partenaires sociaux et le gouvernement devrait faciliter l’accès au logement à 200 000 locataires chaque année, selon des chiffres mis en avant par le ministère du Logement. Visale sécurise les bailleurs du parc privé en se portant garant du paiement du loyer pendant trois ans.
Pas d'argent provenant des caisses de l'Etat en cette période de rigueur budgétaire : le dispositif va être financé par Action logement, un programme qui regroupe les collecteurs du 1 % (un fonds dédié au logement des salariés et géré par les partenaires sociaux). Un budget de 130 millions d'euros par an est prévu pour couvrir le risque d'impayé des 200 000 locataires, soit 650 euros en moyenne par an et par contrat de location. Le dispositif entre en application le 1er février, mais les demandes peuvent être formulées dès cette semaine par Internet.
Comment fonctionne Visale et quels sont ses objectifs ?
L'acronyme Visale veut dire Visa pour le logement et l'emploi. Les partenaires sociaux font le lien entre les deux. «Aujourd'hui, l'entrée dans l'emploi se fait à 90 % par le biais de contrats précaires : CDD, intérim, apprentissage, période d'essai… Il arrive que des gens refusent un travail parce qu'ils ne peuvent pas produire les garanties exigées par les bailleurs privés pour se loger à proximité», souligne Lucie Cahn, directrice de la structure qui va piloter Visale. Le dispositif vise à sortir les jeunes et les salariés précaires (les embauches en CDD ont augmenté de 76 % entre 2000 et 2012) d'une impasse redoutable : pas de travail / pas de logement ; pas de logement / pas de possibilité de travailler. «Quand on lève l'obstacle de l'accès au logement on facilite l'accès à l'emploi», estime Lucie Cahn.
Les salariés en mobilité sont spécialement concernés : un sondage IFOP-Action Logement datant de novembre, portant sur les liens entre emploi et logement, indique que 77 % des salariés se disent prêts à déménager (92 % chez les moins de 30 ans) pour obtenir un emploi. Mais encore faut-il trouver un toit. Outre accompagner la mobilité, Visale se veut donc un outil qui permet d'élargir les bassins de recherche d'emploi pour les salariés. La convention signée entre Action Logement et le gouvernement prévoit que peuvent bénéficier du dispositif tous les salariés de moins de 30 ans «quel que soit [la nature de] leur contrat de travail», y compris donc un CDI, la demande devant intervenir dans les douze mois qui suivent leur entrée dans l'entreprise. En revanche pour les plus de 30 ans, seuls les salariés en CDD, en période d'essai ou en intérim peuvent solliciter cette garantie dans un délai de trois mois après leur prise de fonction. Des familles en difficulté accompagnées par un organisme d'intermédiation locatives sont aussi éligibles.
Dans quelles circonstances a été mis en place Visale ?
Le mécanisme Visale vient se substituer à la garantie universelle des loyers (GUL), un dispositif beaucoup plus ambitieux, mais mort-né, qu'avait fait voter l'ancienne ministre du Logement Cécile Duflot dans le cadre de sa loi Alur adoptée en mars 2014. Son idée était de créer une sorte de «sécurité sociale du logement», autrement dit, un dispositif universel, couvrant les 6,5 millions de locataires du parc privé, pour mettre fin à l'horreur des expulsions locatives (généralement dues à des impayés), tout en sécurisant les revenus des bailleurs. Principe : dès lors qu'un ménage de bonne foi aurait eu des difficultés à régler son loyer (perte d'emploi, baisse des revenus suite à un divorce, un décès…), la GUL serait intervenue pour couvrir l'impayé et éviter à terme les affres d'une expulsion locative, le bailleur continuant pour sa part à percevoir son loyer. Mais, à peine connu, le projet de loi s'était heurté au lobby des assureurs relayé par plusieurs parlementaires, y compris de gauche comme le député (PS) parisien Christophe Caresche. La société Galian, spécialisée dans la commercialisation de contrats d'assurance privée contre les impayés de loyers, avait pris la tête de la fronde. Votée en dépit des oppositions, la GUL devait normalement entrer en vigueur le 1er janvier. Mais elle a été enterrée - notamment pour des raisons budgétaires - par le gouvernement. Les décrets d'application pour la mise en œuvre de la GUL n'ont jamais été pris et les crédits nécessaires à son fonctionnement n'ont jamais été discutés dans le cadre de la loi de finance. Le Premier ministre lui a réservé des funérailles de première classe. Il a aussi limité l'application de l'encadrement des loyers (autre mesure phare de la loi Alur) à la seule ville de Paris. Tout cela sans saisir le Parlement, en utilisant les seuls pouvoirs dont dispose l'exécutif.
Que pensent les associations de locataires du revirement du gouvernement ?
L'abandon de la GUL n'est pas passé comme une lettre à la poste parmi les associations de défense des consommateurs ou de locataires qui ne mâchent pas leurs mots. Il est «inacceptable et antidémocratique que l'on enterre un dispositif prévu par loi et qui n'a jamais été remis en cause par le législateur depuis», a souligné début janvier dans un communiqué la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), déplorant l'abandon de la garantie universelle. «Visale, qui s'apparente à une assurance classique, est facultatif pour les bailleurs. Il sera donc souscrit à la marge», indique David Rodrigues, responsable juridique à la CLCV, qui «ne croit pas au chiffre annoncé de 200 000 locataires couverts par an».
Une trentaine d'associations d'aide aux démunis ou œuvrant dans le domaine du droit au logement ont elles aussi dénoncé la «régression» que constitue Visale comparé au dispositif s'appliquant à tous les loyers imaginés par Cécile Duflot. «Visale, un échec avancé», prédit même la CNL (Confédération nationale du logement), la plus grosse association de défense des locataires qui exige toujours «la mise en place d'une véritable sécurité sociale du logement».
Quelles sont les limites de Visale ?
L'une des critiques faites par les associations de défense est le faible nombre delocataires concernés par Visale. «Trop restrictive dans son périmètre d'intervention», renchérit la CNL. «Dans les zones tendues comme la région parisienne, le littoral méditerranéen et d'autres grandes villes où les loyers sont chers, les bailleurs exigent des garanties de paiement de loyer, y compris pour des personnes de plus de 30 ans qui sont en CDI et ont des revenus corrects», observe David Rodrigues. Outre des ressources et un emploi stable, les bailleurs exigent aussi un garant. Généralement, les aspirants locataires se tournent vers des proches pour trouver celui qui s'engage à régler le loyer à leur place en cas d'impayé. Pas facile à trouver. Et puis le garant doit gagner trois à cinq fois le montant du loyer. Certains ménages n'y arrivent pas et se trouvent ainsi bloqués dans leurs projets résidentiels. «Visale met de côté tous ceux qui sont déjà installés mais qui, pour des raisons personnelles ou familiales (naissances d'enfants, divorce…), ont besoin de déménager», pointe David Rodrigues. Dispositif limité donc. Ce que ne nie pas Action logement. «Nous avons décidé d'aider les locataires qui en ont le plus besoin», reconnaît Lucie Cahn.