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Analyse

Hollande : une fin de mandat sur une jambe

A l’heure où, dans la perspective de 2017, l’exécutif entendait réunifier son camp, le départ de la figure emblématique de l’aile gauche du gouvernement envoie un message de repli sur le noyau social-libéral du PS.
(Dessin Catherine Meurisse)
publié le 27 janvier 2016 à 19h51

Il y a des «nous» qui peuvent être dévastateurs. Celui employé par Christiane Taubira, pour justifier sa démission du gouvernement mercredi, a sonné comme l'officialisation d'une fracture politique irréconciliable. «Je choisis d'être fidèle à moi-même, à mes engagements, mes combats et à mon rapport aux autres. Fidèle à nous, à tels que je nous comprends», a-t-elle déclaré dans une courte allocution. Si ce «nous» évoque la communauté nationale, il dessine aussi, en creux, une gauche, la sienne, et ce qui la différencie de celle qui inspire la politique de François Hollande depuis presque quatre ans. Avec le projet de déchéance de la nationalité défendu par le chef de l'Etat, ce compagnonnage est arrivé à un point de rupture. Comme un vieux couple, épuisé de perdre son temps à devoir raccommoder les morceaux, Hollande et Taubira ont décidé de se quitter. Lui revendique une exigence de cohérence. Elle, sa liberté de conscience.

Porte-à-faux

Cette démission est une très mauvaise nouvelle pour le chef de l’Etat. A un an du début de la campagne présidentielle, le couple Hollande-Valls se retrouve de plus en plus en porte-à-faux avec une partie de sa famille politique. Un remaniement était en préparation, dont l’objectif était de profiter du départ de Laurent Fabius à la présidence du Conseil constitutionnel pour élargir autant que faire se peut une majorité présidentielle aujourd’hui trop étroite, afin de créer une dynamique électorale. De l’élargissement prévu, on est donc passé, d’un coup d’un seul, au rétrécissement subi.

L’ex-premier secrétaire du Parti socialiste a pourtant construit sa carrière dans l’art de trouver des compromis, de calculer les plus petits communs dénominateurs, pour trouver à chaque fois le bon barycentre. Le voilà qui glisse dangereusement vers la marge de son propre parti. Etrange télescopage : il décide d’une loi pour contourner un peu plus les 35 heures - mesure emblématique de sa famille politique - et se retrouve dans l’obligation de laisser partir celle qui incarne une gauche des valeurs et des principes. Dans les deux cas, une majorité de la droite applaudit. Dans les deux cas, une partie de la gauche se désespère.

Mais alors pourquoi ? Pourquoi cette obstination, presque suicidaire, à vouloir parler et plaire d’abord à son opposition, alors que le peuple de droite ne déclare (à plus de 80 %) que du mépris pour ce président ? Les rares dans son entourage qui essaient de trouver un semblant de rationalité à ce quinquennat répètent la même chose : les attentes du peuple de gauche ont évolué, le pays s’est droitisé et, comme la gauche de la gauche a rompu les ponts avec celle de gouvernement, l’avenir de Hollande pourrait se jouer au centre. Avec un président en exercice en situation d’enjamber le bipartisme.

A rebours

Mais même les hollandais historiques restent dubitatifs quand on leur déroule cette feuille de route. Ils répètent que ce président n'a pas d'avenir sans un rassemblement le plus large possible de la gauche au premier tour. Or, à force de prendre à rebours sa famille politique, François Hollande pourrait se couper d'une partie de ses électeurs. Au risque de laisser vacant un espace politique entre lui et Jean-Luc Mélenchon. C'est d'ailleurs le calcul que fait à haute voix le député européen Yannick Jadot, l'un des initiateurs de l'appel pour une «primaire des gauches et de l'écologie» : «Plus Hollande et Valls asphyxient la gauche, plus nous sommes un ballon d'oxygène.»

Dessin. Catherine Meurisse. Née en 1980. Dernier album paru: Moderne Olympia (Futuropolis).