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Gauche

Taubira, Montebourg, Duflot, Hamon : un quatuor dans la nature

La démission de Taubiradossier
Tous anciens ministres, ils représentaient l’aile gauche des gouvernements Ayrault et Valls. Désormais «libres», que peuvent-ils faire ?
Christiane Taubira, ministre jusqu’en janvier, ici en août 2014.  (Photo Sébastien Calvet pour Libération)
publié le 28 janvier 2016 à 20h01

Tous dehors. Mercredi, Christiane Taubira a rejoint trois ex-camarades du gouvernement dans la catégorie «ministres de gauche» partis (ou sortis) au nom de la «cohérence» : Cécile Duflot, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Leur présence, dès 2012, avait coloré les gouvernements Ayrault d'un dégradé rose et vert correspondant aux équilibres politiques de la victoire de François Hollande. Leur absence en 2016 illustre le rétrécissement de la majorité et renforce ceux qui, à gauche, voient dans une primaire à gauche la possibilité d'une «alternative».

Ces quatre-là avaient tenté de s'organiser pour convaincre Hollande de «changer de cap» économique. En avril 2013, en pleine crise post-Cahuzac, ils se retrouvent un dimanche soir chez Hamon, une daube de bœuf dans l'assiette, pour préparer une offensive médiatique «anti-austérité» et demander une «autre politique que celle de la droite allemande».

Le chef de l'Etat siffle la fin de la récré et le groupe va se déliter : au printemps 2014, Duflot claque la porte d'un gouvernement dirigé par Valls, qui entre à Matignon grâce à… Montebourg et Hamon. Lesquels récupèrent au passage l'Economie et l'Education. Et quand, fin août 2014, ces deux-là partent en désaccord avec la politique économique de Hollande, Taubira reste au chaud garde des Sceaux. Comme une critique aux choix qu'ils ont faits, Valls a pris un malin plaisir à lancer, lors de ses vœux à la presse, jeudi, qu'il peut «toujours» y avoir, quand on gouverne, «la tentation de fuir». «Résister aujourd'hui, ça n'est pas proclamer […]. Résister, c'est se confronter à la réalité du pays», a-t-il déclaré pour répondre à Taubira et son «parfois résister, c'est partir». Ces quatre-là justifiaient leur présence au gouvernement comme une manière de «peser de l'intérieur». A l'extérieur, ils pourront toujours dire qu'ils n'ont pas accepté une politique «qui n'est pas de gauche». Encore faut-il construire une «alternative», Ce qu'ils ont, pour l'instant, échoué à faire.

 Christiane Taubira «Sortie avec panache»

Pourquoi est-elle partie ? Elle a mis un mois. Le 23 décembre, lorsque l'exécutif choisit de retenir l'extension de la déchéance de nationalité pour les binationaux «nés Français» condamnés pour terrorisme, elle déclare après le Conseil des ministres, au côté de Valls : «Le respect de la parole présidentielle s'impose à tous.» Mercredi, jour où le projet de loi constitutionnelle était présenté à l'Assemblée, elle quitte le gouvernement «sur un désaccord politique majeur» : «Je choisis d'être fidèle à moi-même, à mes engagements […] fidèle à nous», a-t-elle lancé. Pourquoi ne pas être partie dès fin décembre ? Certains députés qui la soutiennent croient savoir qu'elle a voulu peser jusqu'au bout sur l'arbitrage. D'autres, rappelant qu'elle est restée «bien au chaud» tout ce quinquennat malgré «les couleuvres» disent qu'elle souhaitait, sans avoir gain de cause, être nommée au Conseil constitutionnel. Lui restait alors l'option «sortie avec panache».

Qu'a-t-elle en tête pour la suite ? Dans Conversations secrètes, mercredi sur Canal +, Taubira assure vouloir être «entourée de [s]es livres en Guyane sous un dôme de lumière» et parle de chansons qu'elle écrit : «Il y a un disque mastérisé prêt depuis trois ans.» D'autres aiment l'imaginer rejoindre la primaire à gauche et devenir une solution possible pour 2017. Mais à Michel Denisot, Taubira a répondu : «Non, c'est absolument sûr.» Pas sûr non plus qu'elle veuille revivre l'expérience de 2002 (2,32 % et l'accusation d'avoir fait perdre la gauche). L'émission a été enregistrée samedi matin. Le choix d'une non-participation à la primaire semble réfléchi. Reste le statut d'icône de la gauche.

Arnaud Montebourg, sur la «réserve»

Pourquoi est-il parti ? Le ciel est orageux ce dimanche 24 août 2014 à Frangy-en-Bresse. Dans son discours de clôture de la 42e Fête de la rose, Montebourg lâche la bride : «Le ministre de l'Economie que je suis, qui le dit tous les jours à son Premier ministre, à son Président […], a le devoir de ne pas se taire.» Il réclame à haute voix une «inflexion majeure de notre politique économique», et dénonce «l'entêtement et l'obstination à poursuivre les politiques de réduction des déficits», une «erreur mortelle». La «ligne jaune» est franchie pour Valls, alors que Montebourg répète les éléments d'un discours tenu le 10 juillet à Bercy. Il est mis dehors le lendemain.

Que fait-il depuis ? Il fait de la politique «autrement». Loin du PS, on le retrouve pour vanter le «made in France», quitte à s'afficher avec le centriste Yves Jégo. Vice-président du conseil de surveillance d'Habitat et à nouveau père d'un enfant avec l'ex-ministre de la Culture Aurélie Filippetti il se tient loin des appareils politiques. Mais se rappelle aux bons souvenirs de Hollande lorsqu'il balance en plein congrès PS, à Poitiers, une tribune avec le banquier et patron de presse Matthieu Pigasse, dénonçant la politique de l'UE, notamment sur la Grèce, ou qu'il invite à Frangy l'ex-ministre des Finances grec, Yánis Varoufákis.

Qu'a-t-il en tête pour la suite ? Pour l'instant, il garde le mystère. Promoteur et troisième homme de la primaire «citoyenne» de 2011 (17 %), il n'a pas - encore ? - répondu aux invitations des initiateurs de «Notre primaire». «Il se réserve», dit-on dans son entourage, sans préciser si le chantre de la «démondialisation» est prêt à replonger dans le bain politique avant 2017 ou s'il se «réserve» pour l'après.

Cécile Duflot court toujours

Pourquoi est-elle partie ? Mars 2014, la gauche morfle aux municipales, Manuel Valls remplace Jean-Marc Ayrault et les deux ministres écolos, Canfin et Duflot, claquent la porte. Pour eux, «les idées portées par le nouveau Premier ministre depuis plusieurs années ne constituent pas la réponse adéquate aux problèmes des Françaises et des Français».

Sous Ayrault, Duflot s'était écharpé avec Valls, notamment sur la question des Roms. Pourtant, la ministre du Logement avait une belle proposition entre ses mains : la place de numéro 2 du gouvernement avec un grand ministère de l'Ecologie et des promesses comme l'arrêt de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. «J'ai passé l'âge de croire au père Noël», disait-elle en privé.

Que fait-elle depuis ? Dans un premier temps, Duflot a changé ses habitudes. Elle a sorti la carte de la discrétion. Une députée normale. Elle en a profité pour écrire un nouveau livre, le Grand Virage (éd. Les Petits Matins). Un préprogramme présidentiel. La crise à EE-LV avec le départ de cadres pro-Valls a bouleversé ses plans. Aujourd'hui, elle est coprésidente du groupe écolo à l'Assemblée, tout en gardant le contact par SMS avec Hollande.

Qu'a-t-elle en tête pour la suite ? Le regard tourné vers 2017, Duflot s'organise en petite équipe «au cas où la porte s'ouvre». Lors du prochain congrès d'EE-LV, en juin, elle se mettra en piste si son parti décide de lancer un candidat pour l'Elysée. Autre option : la primaire à gauche. Dans un premier temps réticente, elle a publié dans Libération une tribune «Pour moi, c'est oui». Selon la députée de Paris, l'initiative peut être un moyen de revivifier les gauches et la démocratie en vue de l'après-2017. Ou de négocier un bon accord législatif avec les socialistes.

Benoît Hamon attend son tour

Pourquoi est-il parti ? Le 24 août 2014, Benoît Hamon est à Frangy avec Arnaud Montebourg (lire ci-contre). Ce jour-là, dans le Parisien, il réclame une «relance de la demande» et explique qu'avec Montebourg, il n'est «pas loin des frondeurs». Valls est furieux. Il demande à Hamon de revenir sur ses propos. Comprendre, lâcher Arnaud Montebourg ou s'en aller. Hamon présente sa démission et quitte le gouvernement avec son camarade. L'éphémère ministre de l'Education nationale aura exercé cinq mois.

Que fait-il depuis ? Il est retourné à l'aile gauche du Parti socialiste. L'ex-ministre était partant pour affronter le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, au congrès de Poitiers. Mais certains camarades lui reprochaient d'avoir contribué à la nomination de Manuel Valls à Matignon. Il passe son tour, se concentre sur son mandat de député des Yvelines (lutte contre le burn-out, reconnaissance de la Palestine…), multiplie les actions et les rencontres à Trappes, dans sa circonscription, et fait la campagne des régionales avec Claude Bartolone en Ile-de-France.

Qu'a-t-il en tête pour la suite ? Hamon guette la présidentielle de 2017. Et a très vite affiché ses envies : il est favorable à une primaire à gauche, où il espère concourir comme candidat. En 2011, l'ex-porte-parole du PS avait soutenu Martine Aubry et regrette aujourd'hui de ne pas y être allé. L'ex-ministre compte également sur son bilan et son opposition au gouvernement pour garder un mandat dans un département où la gauche a connu deux claques électorales en 2015.