La santé publique est une affaire de ton au moins autant que de contenu. Et ce qui se passe actuellement autour du virus zika l’illustre à merveille, comme nous l’avons entendu ces derniers jours avec l’apparent pataquès entre la ministre de la Santé et celle de l’Outre-Mer sur les recommandations à suivre.
L'une, Marisol Touraine, a affirmé : «Dans des cas limités, la maladie peut être très grave avec des effets neurologiques, et pour les femmes enceintes, des complications, des malformations pour leur bébé. Je veux dire très fortement aux femmes qui sont en métropole et qui ont prévu d'aller en Guyane, en Martinique ou dans les territoires d'outre-mer, que si elles sont enceintes, je leur recommande de différer leur voyage. Il y a un enjeu de santé publique. L'épidémie est sérieuse.» Quant à la seconde, George Pau-Langevin, elle s'est montrée certes prudente, mais aussi rassurante : «La particularité du zika par rapport à la dengue ou au chikungunya, qui sont un peu des maladies similaires, c'est qu'on suspecte un risque de malformations pour les bébés. Donc c'est vrai qu'il faut être prudent, mais à mon sens une femme enceinte qui met du produit anti-moustique, qui dort avec une moustiquaire ou avec une clim fraîche, a un risque très limité d'être contaminée.» Ajoutant : «Tout ce qui consiste à lutter contre les moustiques est mis en œuvre dans les territoires.»
Leurs divergences sont intéressantes, car toutes les deux ont raison. Mais voilà, en matière de santé publique, il ne suffit pas d’avoir raison, l’essentiel est d’établir de la confiance. D’abord notons que la ministre de la Santé, femme de métropole, parle essentiellement en métropolitaine, ne s’adressant implicitement qu’aux femmes qui vont se rendre dans ces territoires d’outre-mer. Alors que la seconde, Guadeloupéenne de naissance, s’adresse en toute connaissance de cause aux femmes de ces îles, qui sont habituées à vivre et à faire avec les virus, sa proximité la rendant pragmatique et non péremptoire. En tout cas, elle ne suggère ni aux Antillaises ni aux Guyanaises d’arrêter de tomber enceinte.
Que faire donc, en phase d'incertitude, face à un virus qui reste inconnu ? L'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui comme d'habitude oscille entre le retard et l'exagération, a cette fois-ci décidé d'alarmer en avec des déclarations fortes et inquiétantes: «L'épidémie se propage de manière explosive, le niveau d'alerte est extrêmement élevé.» L'OMS craint une «association probable de l'infection avec des malformations congénitales et des syndromes neurologiques». Propos exagérés ? Le risque est peut-être réel en Amérique latine et dans les Antilles, mais il est franchement nul dans les pays occidentaux. Les quelques cas rapportés en Europe sont des cas importés ; de plus le moustique, porteur du virus, est très peu résistant dans ces pays, et au final nul ne conteste qu'en Europe le danger est infime, comme le rappelait dans Libération, le professeur Arnaud Fontanet, responsable de l'unité Epidémiologie des maladies émergentes de l'Institut Pasteur.
La question demeure entière : quel discours tenir en termes de santé publique? De fait, l'objectif – outre la lutte classique contre les facteurs vectoriels que constituent tous les petites flaques d'eau dormante où vont se reproduire les insectes – est de convaincre. Et pour cela, il n'y a rien d'autre à faire que d'en parler et d'en débattre, sans retenue ni posture. Exemple : à quoi cela rime-t-il de dire à des femmes de ne pas tomber enceinte dans des territoires où celles-ci n'ont pas toujours de moyens d'éviter une grossesse ? Comme le dit la ministre de l'Outre-Mer, «on est habitué aux piqûres d'insectes». Les ultra-marins savent de quoi on parle. Ils connaissent, ainsi, les dangers de la dengue (entre 10000 et 50 000 morts par an dans le monde), les douleurs articulaires liées au chikungunya, etc. Comme toujours, il faut donner le choix, réduire les risques, et surtout ouvrir les possibilités. C'est comme pour la vaccination : en matière de santé publique les personnes préfèrent choisir plutôt que d'obéir.