A l'entrée de l'exploitation d'Arnaud Guinard, éleveur de cochons à Romillé, petit village agricole près de Rennes (Ille-et-Vilaine), aucun signe extérieur de détresse. Si ce n'est ce cadavre de porcelet posé sur l'herbe, qui attend d'être enlevé par le camion de l'équarrissage. «Cela fait partie du quotidien, raconte ce grand gaillard de 35 ans, marié et père de trois jeunes enfants. Il y a en moyenne 5 % de pertes dans les élevages.»
Ce m ercredi matin, cet adhérent des Jeunes agriculteurs (JA) d'Ille-et-Vilaine attend la visite d'Alain Juppé, venu faire la tournée des agriculteurs bretons au lendemain de nouvelles manifestations à Saint-Lô (Manche), Boulogne (Pas-de-Calais) ou Landerneau (Finistère). Arnaud Guinard n'est pas dupe du coup de com mais il compte bien signifier au candidat à la primaire présidentielle son «sentiment d'abandon».
Ce fils d'agriculteur, qui a repris la ferme parentale avec son frère, a déjà du mal à joindre les deux bouts, alors comment faire pour moderniser son exploitation vieillissante ? «Certains bâtiments ont environ trente ans, il faudrait pouvoir les renouveler pour rester dans la course», explique-t-il.
Avec des cours du porc qui ne couvrent plus depuis plusieurs mois ses prix de revient et une trésorerie dans laquelle il est obligé de puiser pour assurer ses besoins quotidiens, tous ses projets sont en berne. «Chaque jour, je me lève, je mets le pied par terre et je perds 100 euros», lâche-t-il. De taille moyenne, avec 180 truies pour une production de 4 200 porcs par an, son élevage produit pourtant la quasi-totalité des céréales nécessaires à l'alimentation de ses animaux, poste «qui représente 70 % des charges d'un élevage comme» le sien.
Arnaud Guinard ne cache pas son dépit. «Depuis le temps qu'on réclame la mention d'origine pour les viandes des produits transformés, on ne nous a toujours pas entendus, soupire-t-il. Et je ne pense pas que les pouvoirs publics aient activé tous les leviers pour la levée de l'embargo russe.» Cet embargo aurait empêché la vente de 8 millions de cochons européens, un chiffre auquel il faut ajouter la surproduction de l'UE de plusieurs millions de têtes. «Nous sommes aussi victimes de la politique ultralibérale de l'Europe qui favorise les concentrations industrielles et favorise la baisse des prix», juge un responsable de la FNSEA.