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Jérôme Fourquet : «Aller bien au-delà de la barre des 30 % sans alliés semble illusoire»

Pour le sondeur de l’Ifop, le Front national est aujourd’hui trop isolé et ne dispose pas d’assez de réserves de voix pour être en position d’accéder au pouvoir.

Jérôme Fourquet, département Opinion et stratégies d’entreprise à l’Ifop. (Photo DR)
Publié le 04/02/2016 à 19h21

Directeur du département «opinion et stratégies» d’entreprise de l’institut de sondages Ifop, Jérôme Fourquet doute que le Front national puisse, seul, améliorer significativement ses résultats électoraux.

Quelle est aujourd’hui la marge de progression du FN ?

Les arbres ne grimpent jamais au ciel. Il est déjà assez remarquable pour le Front national d’avoir atteint 28 % seul au premier tour des régionalesde décembre. Il a réuni 6,8 millions d’électeurs, soit plus qu’à la dernière présidentielle, alors qu’une partie de son électorat de l’époque ne s’est sans doute pas déplacée. Pour autant, il y a des limites «physiques» à cette extension. Dans l’histoire électorale de la France, le Parti socialiste fait 30 % dans ses meilleures années. L’alliance entre la droite et le centre aussi, alors que le meilleur score historique du Parti communiste français est d’environ 25 %.

Le FN peut-il espérer faire mieux ?

Peut-être peut-il dépasser la barre des 30 %. Mais aller bien au-delà sans alliés me semble illusoire, en tout cas dans l’état actuel des choses. Quand on regarde la structure du vote Front national, on a en gros deux blocs. L’un est une «France d’en bas» où le Front fait à peu près 40 % : ouvriers, employés, artisans, chômeurs… Dans ces milieux, le FN est déjà très dominant et sa capacité d’expansion n’est pas infinie. L’autre bloc est composé des professions intermédiaires et libérales, des cadres supérieurs, des retraités. Le FN y recueille 15 ou 16 % des voix : c’est significatif, mais insuffisant pour l’emporter. Le Front peut sans doute y progresser de quelques points, mais pas beaucoup plus à mon avis.

Pourquoi ?

Il y a dans ces catégories de puissants freins au vote FN. Si celui-ci est fort dans les milieux populaires, c’est grâce à un discours de rupture qui promet de tout changer. Cela fonctionne auprès de ceux qui n’ont pas grand-chose à perdre. Mais les retraités par exemple, sans être forcément fortunés, ont souvent accumulé un petit patrimoine et leurs revenus sont assurés par la redistribution. Ils valorisent donc beaucoup la stabilité financière. Or, une mesure comme la sortie de l’euro représente un saut dans l’inconnu. L’idée est aussi répandue que, en cas de victoire du Front national, on pourrait assister à des troubles importants, des révoltes en banlieue, etc.

De mon point de vue, un basculement de ces catégories vers le Front national pourrait avoir lieu seulement dans une situation historique exceptionnelle, avec un taux de chômage encore plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui, des attentats à répétition, des ferments de guerre civile. Sans minimiser la situation actuelle, nous n’y sommes pas encore.

Une «réforme» du FN peut-elle changer la donne ?

Edulcorer le discours peut effectivement le faire progresser parmi les partisans de la stabilité. Mais le risque est alors de perdre d’un côté ce que l’on gagne de l’autre, c’est-à-dire de décevoir ceux qui attendent des changements plus radicaux. C’est pour cela que le niveau actuel de 30 % reflète une sorte d’équilibre, d’optimum : une réforme a toutes les chances d’être un jeu à somme nulle.

Faute d’alliance, le FN peut-il espérer gagner en 2017 ?

Pas dans les conditions actuelles, d’où le trouble de l’état-major frontiste : si certains se voyaient déjà au pouvoir, ils ont heurté un mur lors des régionales. Non seulement le FN ne peut pas gagner seul, mais il suscite toujours une large mobilisation contre lui.

Dès lors, on peut envisager pour ce parti un scénario «à la PCF» : celui d’une force durablement puissante, mais durablement isolée, donc sans accès au pouvoir. La planche de salut du Front national serait une scission de la droite, dont une aile radicale représentant 10 à 15 % des voix se déplacerait vers lui.