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L'avenir incertain de 23 familles de réfugiés syriens à Toulouse

Le tribunal de grande instance de Toulouse a rendu un jugement d'expulsion à l'encontre de familles de la classe moyenne originaires de Homs, qui occupent une barre promise à la démolition dans le quartier des Izards.
Des membres de l'association Droit au logement (DAL) manifestent en septembre à Toulouse pour dénoncer la possible expulsion des réfugiés syriens d'un immeuble. (Photo Rémi Gabalda. AFP)
publié le 5 février 2016 à 7h44

Expulsion dans un délai de deux mois et 540 euros de loyer à payer par appartement à compter du mois de septembre 2015. Tel est le jugement rendu jeudi par le tribunal de grande instance de Toulouse à l’encontre de 23 familles de réfugiés syriens qui occupent des logements vides dans une barre d’immeuble destinée à la démolition dans le quartier populaire des Izards à Toulouse.

Nasser, 45 ans, qui n’était pas présent lors de l’annonce du jugement, paraît vingt ans de moins sur la photo de sa carte de la Chambre de commerce de Homs. C’était sa vie d’avant. Depuis ses traits se sont creusés. Son regard s’est assombri. Sa vie a basculé il y a cinq ans quand l’armée et les milices du régime de Bachar al-Assad ont commencé à massacrer ses voisins. Avant cela, Nasser n’aurait jamais imaginé se retrouver un jour aux Izards, à squatter un appartement avec sa femme et ses enfants.

«Il y a des jaloux»

Les premières familles syriennes sont arrivées ici à l'automne 2015. «Les jeunes du quartier leur ont montré les logements vides. Ils les ont même aidées à casser les portes», raconte Ryad, 52 ans, porte-parole des réfugiés, le seul à s'exprimer couramment en français. Arrivé en France en 1991, Ryad a quitté Nice et son travail dans la restauration pour venir aider ses compatriotes échoués à Toulouse. Sollicité du matin au soir, il organise entre autres choses la distribution des vivres issus des dons des associations humanitaires et des particuliers stockés dans un local à poubelle. «Il m'arrive d'en redistribuer aussi aux habitants des Izards», raconte-t-il. Classé en zone de sécurité prioritaire (ZSP), le quartier des Izards affiche un taux de chômage de près de 20% chez les moins de trente ans.

Penchée à son balcon, Anne-Marie, 75 ans, la voisine retraitée, native de Gratentour (Haute-Garonne), se désole «de voir ces gens fuyant la guerre comme ça sans rien». Locataire depuis trente ans d'un T2, elle attend son relogement dans un nouvel immeuble. «Dans le quartier certains râlent parce qu'ils ne paient pas l'électricité. Il y a des jaloux qui font remarquer qu'ils ont des voitures et des téléphones portables, ajoute la vielle dame. Mais ce sont des gens bien élevés. Les jeunes portent mes courses. Ils ne font pas de bruit. Le soir, ils rentrent tous chez eux après 22 heures».

Bloc B du bâtiment, Nasser offre le thé dans le salon du T4 où il vit avec sa femme et ses sept enfants. Sur l'écran de sa télévision défilent les images d'une chaîne d'information en arabe. Son cousin habite l'appartement au-dessus d'eux. Au fil des mois et des nouveaux arrivants un morceau de Homs et du quartier de Deir Baalba, s'est reformé dans les appartements squattés. Issus des mêmes familles ou proches, ils «vivaient bien» avant les massacres de civils menés par l'armée de Bachar el Assad en 2011. Comme Nasser, la plupart faisaient partie de la classe moyenne sunnite visée par le régime. Villa de 200 m2, magasin de vêtements: Nasser a tout quitté le jour où «ils ont débarqués avec des chars». Parmi ses voisins, «une famille entière est massacrée parce que leur fils avait manifesté». Il embarque le jour même avec sa famille au Liban où ils retrouvent le fils aîné, déserteur. Puis l'Egypte, l'Algérie, le Maroc et l'Espagne après avoir payé 8 000 euros à des passeurs. Demandeur d'asile en Espagne, Nasser n'a pas hésité lorsque son cousin installé aux Izards lui a dit de venir: «L'Etat espagnol ne donne rien pour les réfugiés syriens. J'ai vu des compatriotes mendier dans les rues. En Syrie, c'est fini pour nous.»

«Il faudrait réhabiliter l’immeuble en centre d’accueil»

Depuis leur arrivée aux Izards, une vingtaine de familles syriennes ont été relogées par la préfecture. Le nombre de squatteurs dans les appartements de la place des Faons n'a pas diminué pour autant. Car à peines libérés, les logements sont à nouveau occupés par des familles syriennes venues d'Espagne ou plus récemment de Béziers, la ville du maire frontiste Robert Ménard. «Au lieu de démolir, il faudrait réhabiliter l'immeuble en centre d'accueil. La France n'a pas fini d'accueillir des réfugiés syriens», pointent l'association Droit au logement (DAL) et la Ligue des droits de l'homme (LDH).

Issues du même quartier sunnite de Deir Baalba à Homs, l'avenir de ces familles syriennes est devenu totalement incertain avec ce jugement. Habitat Toulouse, l'office HLM de la ville propriétaire des lieux est pressé de les voir partir alors qu'elles ne savent pas où aller. «Nous ne voulons pas que cette situation perdure», renchérit Jean-Luc Moudenc le maire de Toulouse (LR). Ces gens vivent dans des conditions insalubres. Ce ne sont pas les seuls à être en difficulté. Nous avons 25 000 demandes de logements sociaux et plus de 1 500 SDF sur la ville».