Bonnet multicolore, barbe grise, le visage cerclé de lunettes à la mode, il (ou elle) refuse poliment de répondre aux questions des journalistes et de laisser diffuser son image. Le visage semble fatigué, éprouvé, mais aussi satisfait d'avoir été écouté. Ce vendredi matin, cette personne de 64 ans, à laquelle le tribunal de Tours avait accordé, pour la première fois en France en août, le droit de faire figurer la mention «sexe neutre» sur son état civil, a été entendue à huis clos pendant près de deux heures. Face à elle, sept magistrats de la cour d'appel d'Orléans, le parquet ayant fait appel de la décision inédite et complexe d'accorder un sexe neutre à un individu quand ce bon vieux code civil est entièrement fondé sur le binaire «masculin» ou «féminin».
Y a-t-il un espoir que cette personne intersexuée (qui souhaite absolument garder son anonymat) puisse conserver sa case «neutre» ? «Il ira jusqu'au bout de la procédure, parce que c'est sa vie», assure son avocate depuis la première instance à Tours, Mila Petkova. Sa vie ? Sur son acte de naissance, l'officier d'état civil a inscrit «sexe masculin». Ses parents l'ont élevé comme un fils. Pourtant, dans les pièces versées à son dossier, son frère évoque «l'évidence» de quelqu'un «en réalité ni homme ni femme», tandis que son épouse, avec laquelle il a adopté un enfant, témoigne, elle, dans son attestation, que son époux n'est pour elle «ni garçon ni fille ou les deux».
«Ecoute impartiale»
Etrange ? Inextricable ? C'est simplement l'histoire d'une personne intersexuée (oui, oui, cela arrive) qui, dès sa naissance présentait «une ambiguïté sexuelle», selon un certificat médical. Et qui, devenue adulte, a conservé à la fois des aspects féminins (un «vagin rudimentaire») et masculins (un «micropénis»). Et qui ne fabrique aucune hormone sexuelle, ni masculine, ni féminine.
«L'audience s'est bien déroulée. Nous avons pu développer nos arguments. Pour mon client c'est une épreuve de devoir parler, se raconter, mais je crois qu'il a été soulagé de parler et nous avons eu l'impression de bénéficier d'une écoute impartiale», assure son avocate, qui explique avoir invoqué devant les juges d'appel le droit au respect de la vie privée et souligné la nécessité d'une évolution du droit français. «La cour est vraiment allée au fond du dossier, y compris au niveau de son ressenti», confirme son confrère, l'avocat François Tardif.
L’arrêt de la cour d’appel a été mis en délibéré, sans qu’une date précise n’ait encore été communiquée. Selon les avocats, il pourrait intervenir d’ici six semaines à deux mois.