Couvert de vitres, le bâtiment marron, construit en 1982, fait figure d'ovni architectural dans le quartier résidentiel du parc Sainte-Marie de Nancy. On y accède par une passerelle en béton. Chaque jour, entre 700 et 800 visiteurs passent le portique de sécurité, pourtant «nous avons obtenu l'agrément d'ouverture au public il y a seulement quatre ans», s'amuse Maurice Schreyer, secrétaire régional adjoint de CFDT Interco Lorraine. Dans le hall, quatre ascenseurs. Seuls deux sont en état de marche. «Les deux autres ont cessé de fonctionner au début des années 2000», explique le juge pour enfants Eric Bocciarelli, représentant local du Syndicat de la magistrature (SM). Au deuxième étage, dans la salle d'attente du juge des affaires familiales (JAF), une latte du plafond, manifestement tombée, est posée sur le bord de la fenêtre. Les murs sont fissurés, les sièges abîmés, les stores défectueux. «Imaginez un couple en plein divorce qui se retrouve dans cet espace avant de passer devant le juge…» fait remarquer Romaric Pierre, greffier au service accueil du tribunal. Dans les couloirs, le ciment est apparent sous les dalles manquantes, la peinture des murs écaillée, de nombreuses fissures et autres infiltrations apparaissent le long des cloisons. «Le bâtiment a été construit sur des marécages, explique Maurice Schreyer, il est composé de trois tours qui jouent entre elles, et la Cité s'enfonce.» Du côté du juge pour enfants, les murs des toilettes sont maculés de tags injurieux, les plafonds ont été partiellement brûlés au briquet. Au troisième étage, une cafeteria a été improvisée pour le personnel. «C'est l'ordre des avocats qui a contribué financièrement à l'achat des pots de peinture», raconte Maurice Schreyer. «On est obligé d'avoir recours en permanence au système D mais il arrive un moment où la bonne volonté ne suffit plus», déplore Romaric Pierre.
Critique. La liste des indices qui révèlent la situation critique dans laquelle se trouve le tribunal de Nancy est longue : fils électriques qui pendent dans la petite bibliothèque aux maigres rayons, traces de suie autour de la porte d'une pièce incendiée il y a plus de dix ans, système informatique qui rame, affichettes faites à la main… En cause, la baisse continue du budget de fonctionnement. «Il est de 72 000 euros cette année. En trois, quatre ans, il a chuté de 40 %», explique Maurice Schreyer. «En juin, on n'aura plus d'argent, s'inquiète Eric Bocciarelli, nous sommes proches de la cessation de paiement.» Maurice Schreyer renchérit : «Nous serions une entreprise privée ou un ménage, au mois de juin, on nous couperait tout et la justice nous condamnerait.»
Médecins et traducteurs payés au lance-pierres, certains experts non rémunérés depuis un an et demi… «J'ai peur que cette situation ne décourage les gens de travailler pour la justice», appréhende le magistrat. L'impact sur le personnel est lourd, et les effectifs en souffrance. «En dix ans, nous avons perdu dix postes alors que les réformes de la justice nous demandent de plus en plus de compétences et nous imposent toujours plus d'obligations sans nous donner les moyens», constate Maurice Schreyer. A Nancy, quinze postes sur les effectifs théoriques ne sont pas pourvus. «Au final, c'est le justifiable qui trinque», s'indigne Romaric Pierre. «Pour obtenir une décision du JAF, les délais sont passés de deux à quatre mois», affirme-t-il.
Double peine. Même son de cloche du côté des avocats, solidaires du cri d'alarme des magistrats contraints, selon lui, de procéder à «du replâtrage permanent» pour faire face au manque d'effectifs et de moyens. «Pour un simple litige qui devrait être réglé en deux mois, les délais de report vont jusqu'à neuf mois, sans compter les délais de rédaction de jugement, explique Frédéric Ferry, bâtonnier des avocats de Nancy. Pour le justiciable, c'est la double peine.» «Je ne peux pas être assisté d'un greffier alors que la loi en prévoit la présence à chaque audience, indique Eric Bocciarelli. Au départ, c'est ponctuel, puis l'exception finit par devenir la norme.» Dans les étages ou dans les salles d'audience borgnes car situées au sous-sol du bâtiment, «la justice quotidienne est rendue dans des conditions de plus en plus dégradées», s'indigne le juge pour enfants s'inquiétant qu'«aucune amélioration ne soit en vue» et reconnaissant qu'à l'échelle nationale, le tribunal de Nancy «ne fait pas figure d'exception».