Il ne veut rien céder. Même si la déchéance de nationalité pour les terroristes a fracturé son camp comme jamais, François Hollande ira jusqu'au bout pour imposer sa révision constitutionnelle. Mercredi, pendant le conseil des ministres, le président «a évoqué un package utile pour les Français dont l'esprit ne devait pas être altéré et il a expliqué que la Constitution devait être protectrice de nos concitoyens», rapporte un ministre. Tous ont compris que la détermination présidentielle qu'ils avaient perçue au soir du 13 novembre était de retour. «Ce que les Français attendent c'est être rassurés», a martelé le chef de l'Etat.
Peu importe si la déchéance de nationalité n'est pas un moyen efficace pour prévenir de nouveaux attentats, ce que pensent d'ailleurs le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur. Il faut du lourd et du symbolique. «Il a compris que ce sujet était le sujet de sa réélection, il ne bougera pas d'un millimètre, explique un ténor socialiste pas convaincu par la déchéance. Il ne peut pas être battu au Congrès, fin de l'histoire. Si certains persistent à vouloir qu'il soit battu, il sera déchu de sa présidentialité. Donc lui doit tenir parole.» Ce qui oblige à des tractations oscillant entre sémantique et cynisme pour faire atterrir la majorité.
La France pourra créer des apatrides
Au terme de six semaines de baston, l'ultime compromis s'est dessiné mercredi : la déchéance, qui sera décidée comme «peine complémentaire» par un juge judiciaire, pourra viser tous les Français «quelle que soit l'origine de leur appartenance à la Nation». Exit le ciblage des binationaux «qui fait hurler le socialo de base», dixit le député Patrick Menucci. Par un tour de passe-passe, il sera finalement possible de créer des apatrides : l'exécutif va ratifier la convention internationale de 1961 sur la «réduction du nombre d'apatrides» qui prévoit des cas exceptionnels de retrait de la nationalité. «Hollande cherche à sortir de l'impasse par tous les moyens», décrypte un dirigeant PS. «Il faut de la souplesse pour sortir d'une quadrature du cercle», sourit de son côté le patron du PS Jean-Christophe Cambadélis. Avec cette nouvelle formule alambiquée, la majorité est un peu rassurée.
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Et face à la droite ? «Plus les socialistes sont nombreux, plus la droite est dans la difficulté», estime le secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen. Certes les Français sont lassés de ce débat mais ils l'ont dans un coin de leur tête et quand on atterrira, ils regarderont qui a fait quoi contre les attentats».
Pour une partie des dirigeants de la majorité, Nicolas Sarkozy et la droite, pourtant très divisée, sont donc piégés et ne pourront pas faire autrement que de voter la révision constitutionnelle au nom de la protection des Français. De toute façon, «Hollande fera tout pour trouver le consensus minimum, assure un autre membre du gouvernement. Il jouera l'unité nationale contre les petits conflits politiciens». Le gouvernement est prêt à des amendements, sur l'article 1 qui constitutionnalise l'état d'urgence, mais aussi l'article 2, qui porte la déchéance de nationalité. Mais pour un proche de Manuel Valls, «les Français en ont soupé du zig et du zag et le président le sait». Comprendre : il tiendra donc bon cette fois.
«Si ça doit capoter autant que ce soit la faute de la droite»
Depuis les attaques du 13 novembre, Hollande «est torturé par le risque d'attentat, bouleversé par ce qu'il a vu», rapporte un visiteur régulier de l'Elysée. Mercredi, en conseil des ministres, Bernard Cazeneuve a fait un point sur la situation et les éventuelles répliques terroristes. «On a écouté, sidérés par la gravité de ce qu'il nous expliquait, relate un ministre. Tout est en train de passer à un niveau qu'on ne soupçonne pas». Ce qui renforce encore la détermination présidentielle. Lors du dîner de la majorité mardi soir, François Hollande a été très clair, s'élevant contre la «légèreté» des responsables politiques face à la menace. «Tout le monde s'écharpe comme si on était encore dans les trente glorieuses», a-t-il déploré. Mettant en garde ses convives contre l'échec de la révision constitutionnelle. Le cas échéant, la représentation politique sera ridicule aux yeux des Français et on enverra un message désastreux aux terroristes, a plaidé le chef de l'Etat.
Mais les dirigeants de la majorité savent bien que dix-sept révisions constitutionnelles ont échoué faute de majorité des trois cinquièmes des parlementaires au Congrès. A l'automne 1973, Georges Pompidou parvient à faire adopter le passage du septennat au quinquennat par l'Assemblée et le Sénat mais la majorité n'est pas assez solide pour aller à Versailles. Le quinquennat attendra un quart de siècle avant d'être adopté. L'Histoire pourrait se répéter au printemps prochain ? «Hollande croit à sa mission au-dessus de la mêlée, explique un ministre. Mais si ça doit capoter autant que ce soit la faute de la droite.»