On ne saura que mercredi matin si le procès de l'ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac aura bien lieu. D'ici là, audience suspendue et / ou levée, a annoncé lundi en fin de journée le tribunal correctionnel de Paris, mélangeant les deux termes dans la même phrase. Il est encore et toujours affaire de QPC (question prioritaire de constitutionnalité) sur fond(s) du principe non bis in idem (on ne peut poursuivre deux fois les mêmes faits), qui menace de faire sauter la plupart des dossiers politico-financiers (lire Libération de samedi).
Les époux Cahuzac, divorcés en novembre, ont déjà été redressés fiscalement, avec pénalités de mauvaise foi représentant de 40 % à 80 % des sommes éludées au fisc, via leurs comptes offshore plus ou moins respectifs. Une première peine, doublée d’une seconde au plan pénal, potentielle à ce stade : cinq ans de prison (éventuellement sept en cas de circonstances aggravantes). La menace n’est pas à prendre à la légère : l’an dernier, l’héritière de l’empire Nina Ricci, planquée en Suisse, a pris trois ans ferme.
Dès l'ouverture du procès, les avocats de Jérôme Cahuzac en ont fait des tonnes. «Au plan fiscal, il a déjà écopé de la peine prévue ; qualifié de paria par la presse, il subit en plus une peine sociale. Pourquoi s'acharner ?» fait mine de s'interroger Me Jean Veil. Son homologue, Me Jean-Alain Michel, précisant, pour qui pourrait parfois en douter, que son client «souhaite être jugé le plus vite possible».
«Horrifié». Le pataquès du non bis in idem remonte à une décision du Conseil constitutionnel datant de mars 2015. Il était alors question de délit d'initié, doublement poursuivable par l'AMF, le gendarme de la Bourse, et l'arbitre des inélégances pénales (le tribunal correctionnel). Semblant faire machine arrière après avoir ouvert la boîte de Pandore, les «sages» ont revisité leur propre jurisprudence en janvier - toujours à propos de mauvais comportements boursiers. Ils admettent la dualité des poursuites : seul «le juge pénal peut prononcer une peine d'emprisonnement, l'autorité administrative ne pouvant que prononcer une sanction pécuniaire». Dont acte. Mais, en cas de «disproportion financière», les lourdes sanctions sonnantes et trébuchantes parfois infligées par l'AMF, voire l'Autorité de la concurrence, auraient plus de poids qu'une peine de prison prononcée par la justice pénale.
Quid en matière fiscale ? Lundi, le parquet a plaidé que la répression pénale serait «largement plus sévère» qu'une simple sanction financière infligée «au plan administratif». Certes, outre la prison, le fraudeur fiscal ne risque qu'une amende d'un million d'euros au plan pénal, mais il y a aussi la déchéance des droits civiques. «On nous brandit aussi la suspension du permis de conduire», s'emporte Jean Veil, qui se dit «horrifié» par cette course à l'échalote de la sanction.
Plus prosaïque, le parquet proclame avoir réagi plus vite que Bercy : ouverture d'une information judiciaire en mai 2013, quand la direction des impôts patientera six mois de plus avant d'initier une procédure de redressement : «Si le Conseil constitutionnel estime impossible le cumul des poursuites fiscales et pénales, la première est largement postérieure.» A suivre le raisonnement, le fisc devrait restituer aux époux Cahuzac l'argent du redressement, puis patienter des années avant que la justice pénale ne lui accorde définitivement des dommages et intérêts, en tant que partie civile au procès pénal.
«Problématique». Tempête sous les crânes des magistrats. La même chambre du tribunal avait transmis une QPC identique le mois précédent, dans l'affaire Wildenstein. Le parquet s'y oppose au motif du récent avis du Conseil constitutionnel, qui changerait la donne. Me Emmanuel Piwnica, à l'origine de cet avis, n'en croit rien : «On demeure sur la même problématique. La double répression administrative et pénale a déjà été jugée par la CEDH.» Et pas en bien.
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