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Enquête

Affaire Areva-Uramin: Swala, un exploitant d’or au cœur des opérations

L’enquête montre que plusieurs actionnaires d’Uramin sont financièrement liés au responsable d’Areva à l’origine du rachat douteux.
Daniel Wouters, ancien banquier belge, homme-clé de l'affaire Uramin. (Photo DR)
publié le 10 février 2016 à 20h31

Daniel Wouters, 62 ans, est le personnage clé de l'affaire Uramin. Recruté en 2006 par Areva pour piloter le rachat de la société minière, l'ancien banquier belge ne se voit pas seulement reprocher d'avoir dissimulé des informations au conseil de surveillance et à l'Etat (lire page 2). Il est désormais suspecté d'avoir profité financièrement de la transaction.

Selon nos informations, des documents saisis lors d'une perquisition à son domicile prouvent que Daniel Wouters serait lié financièrement à certains actionnaires d'Uramin. Cette connexion passerait par la société Swala (anciennement Arc Mining), fondée en 2003 par Daniel Wouters. Spécialisée dans l'exploration de mines d'or, la structure basée au Luxembourg possède des permis au Gabon, au Burkina Faso, au Mozambique et en république démocratique du Congo. Les policiers de la Brigade financière ont découvert que, parmi les actionnaires de Swala, figurent deux sociétés au nom exotique : Jayvee & Co CBIC Mellon Global Securities Services Co et WB Nominee Limited. La première est détenue par un certain James Mellon. Et la seconde, selon les enquêteurs, est «susceptible d'appartenir à Stephen Dattels».

Rétribution. James Mellon et Stephen Dattels sont deux des principaux actionnaires d'Uramin, cette coquille vide vendue 1,8 milliard d'euros à Areva. Rappelons que dans ce dossier, Mellon et Dattels négociaient directement avec Daniel Wouters. Au-delà des soupçons de conflit d'intérêt, leur présence dans l'actionnariat de Swala soulève de nombreuses questions. Depuis quand les trois hommes se connaissaient-ils ? Daniel Wouters a-t-il sciemment dupé Areva en échange d'une rétribution ? Et sinon, pour quelle raison Mellon et Dattels ont-ils investi dans Swala ? L'intéressé devra très certainement s'en expliquer devant les juges d'instruction.

Depuis des années, le profil de Wouters ne cesse d'intriguer. En dehors de ses activités financières, l'homme a été conseiller juridique du président ivoirien Houphouët-Boigny, au début des années 80. Vingt ans plus tard, son embauche chez Areva serait le «secret le mieux gardé de l'affaire Uramin», de l'aveu même de ses anciens actionnaires. Passé par la banque Belgolaise (devenue Fortis), un établissement à la réputation contrastée et spécialisé dans les matières premières en Afrique, Wouters est un financier pur qui ne connaît rien à l'uranium. En 2006, il entend parler du poste à pourvoir chez Areva par un vieil ami apporteur d'affaires pour Fortis. C'est Olivier Fric, le mari d'Anne Lauvergeon, qui transmettra son CV (lire page 6).

Cinglante. «Du temps où j'étais chez Areva, mon activité chez Swala était connue depuis le premier jour», a juré Daniel Wouters dans les locaux de la brigade financière. Mais sur l'actionnariat de Swala, l'ancien banquier est resté beaucoup plus évasif. La société avait déjà suscité quelques doutes chez Areva. Début 2010, au moment où l'affaire Uramin commence à faire des vagues en interne, la direction de la sûreté de l'entreprise commande une enquête discrète sur le sujet à un consultant privé. La note qui résulte de ces investigations, signée par le directeur de la sûreté d'Areva, l'amiral Thierry d'Arbonneau, est cinglante. Ce dernier identifie plusieurs «risques», notamment un conflit d'intérêts avec l'activité minière indépendante de Daniel Wouters. «L'achat d'Uramin soulève beaucoup de questions et de suspicion, souligne Thierry d'Arbonneau. Seule une enquête des autorités boursières pourrait permettre de détecter un délit d'initiés au premier semestre 2007 concernant Daniel Wouters.»

Un autre acteur énigmatique de l'affaire Uramin apparaît dans les comptes de Swala : Haddis Tilahun, le patron du groupe namibien UAG (United Africa Group), vaste conglomérat spécialisé dans la promotion immobilière et hôtelière. Très influent en Namibie, Haddis Tilahun est également un des principaux donateurs du Swapo, le parti au pouvoir. C'est lui qu'Areva a sollicité, en 2009, pour débloquer le permis d'exploitation du gisement de Trekkopje, en Namibie, moyennant 3,4 millions de dollars d'honoraires (3 millions d'euros environ). En guise de remerciement, UAG a également été chargé de coordonner le projet d'usine de dessalement construite pour les besoins d'Areva en Namibie, projet dans lequel le groupe français a investi près de 900 millions d'euros en pure perte (lire page 4). Magnanime, Haddis Tilahun a investi peu après 500 000 euros dans Swala, la société de Daniel Wouters. Un tout petit monde. Joint par Libération, Daniel Wouters a refusé de s'exprimer.