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Déchéance de nationalité : une adoption sur le fil

Déchéance de nationalité, la polémiquedossier
L’article instaurant la déchéance de nationalité a été voté de justesse mardi soir (162 députés pour, 148). Le scrutin global sur le texte ce mercredi s'annonce serré.
A l'Assemblée nationale, mardi, lors du débat sur l'article 2 de la révision constitutionnelle. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 10 février 2016 à 6h35

C'était le compromis des compromis. La formule magique censée procurer une majorité confortable au gouvernement: une déchéance de nationalité qui ne vise plus explicitement les terroristes binationaux nés français. «Le seul élément inégalitaire [du projet de loi constitutionnel], c'est entre les terroristes et les Français», rappelle d'entrée Manuel Valls mardi soir, alors que l'Assemblée poursuit l'étude de l'article 2 de la révision constitutionnelle. Vu l'émoi et la polémique à gauche, il fallait, «ramener ce principe d'égalité» dans le texte, abonde le ministre de la Justice. «Toute personne condamnée pour terrorisme doit pouvoir être déchue de sa nationalité quel que soit le mode d'acquisition de la nationalité», insiste Jean-Jacques Urvoas.

A droite, plus personne ne bronche alors que le fait de cibler uniquement les binationaux faisait partie des conditions chez Les Républicains pour voter le texte. L'autoproclamé chef de file du «non» à la révision, François Fillon, a même disparu de l'hémicycle. Par un vote à main levée, le compromis est voté vers 22h30. La droite s'écrase, l'exécutif respire. Ou plutôt croit pouvoir respirer. Car un peu moins d'une heure plus tard, l'article 2 instaurant la déchéance de nationalité est adopté sur le fil du rasoir: 162 pour, 148 contre, dont 92 socialistes, avec dix autres députés PS qui s'abstiennent. 

Après une série de coups de chaud en début de soirée, le gouvernement n'est pas passé loin de la catastrophe là encore: 14 voix d'écart mais seulement six voix d'avance. Le groupe UDI qui vote très majoritairement pour, les radicaux de gauche qui s'abstiennent finalement alors qu'ils agonisent la mesure depuis des semaines, les deux tiers des élus Front de gauche absents: il y a plusieurs clés de lecture de ce deuxième scrutin crucial en deux jours, avant le vote de l'ensemble de la révision constitutionnelle mercredi après-midi.

Fusée à deux étages

Au passage, les experts du groupe PS qui prédisaient 80% de voix pour l'article 2 remanié sont renvoyés à leurs études alors que les opposants à la déchéance qui pronostiquaient une «centaine de voix contre» sont pile poil dans le vrai. De quoi donner de quelques suées nocturnes aux dirigeants de la majorité avant le vote solennel, mais pas trop. «Beaucoup de socialistes veulent pouvoir dire à leurs électeurs, aux militants qu'ils ont voté contre la déchéance en conscience mais qu'en responsabilité, ils voteront le projet de loi global pour ne pas affaiblir Hollande», décrypte un anti. Une sorte de fusée politique à deux étages en quelque sorte, décrite par le député du Finistère Richard Ferrand qui a voté contre: «fidélité à mes convictions. Fidélité au président de la République». Le Congrès de Versailles n'est donc pas totalement mort. Mais signe de la fébrilité ambiante, alors qu'avant la journée de mardi aucun député n'avait fait part de coups de fil de pression, mardi soir, les téléphones socialistes ont crépité. Officiellement pour se renseigner sur les intentions des députés lors du vote solennel.

A droite, la déchéance de nationalité a scindé le groupe LR en deux parts quasi-égales (32 voix pour/30 contre), les élus FN étaient absents et l'UDI a fourni, en proportion, le plus fort vote pour la déchéance de tous les groupes parlementaires, confirmant son statut d'acteur vedette de la révision constitutionnelle, surtout lors du passage à venir au Sénat. Dans le chaos politique que provoque la déchéance de nationalité, fracturant tous les camps, Eric Woerth s'amuse d'apporter une «voix discordante dans toutes ces oppositions». Comprendre: il votera pour, comme la plupart des sarkozystes qui réussiront tout juste à équilibrer les votes contre des Devedjian, Debré et autres NKM. Pour un parlementaire de gauche, puisque le chef de l'Etat et le patron de LR appelaient tous deux à voter la déchéance, «ce soir il y a deux perdants: Hollande et Sarkozy».