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Olivier Fric, les cachotteries d’un mari encombrant

«Consultant en énergie», l’époux d’Anne Lauvergeon est soupçonné par Tracfin de blanchiment de fraude fiscale et d’avoir spéculé sur le rachat d’Uramin par Areva.
Anne Lauvergeon, le 4 mars 2010 à Paris. (Photo Joël Saget. AFP)
publié le 10 février 2016 à 20h31

Jusqu’où le mari d’Anne Lauvergeon est-il intervenu dans le dossier Uramin ? L’enquête judiciaire a révélé qu’Olivier Fric, 56 ans, bénéficiait de très nombreuses informations sur la société minière, rachetée à prix d’or par Areva malgré des gisements inexploitables. Lors d’une perquisition au domicile des époux Lauvergeon, les limiers de la Brigade financière ont découvert dans le bureau d’Olivier Fric un grand nombre d’éléments liés à l’affaire, disséminés entre des chemises cartonnées et des clés USB. Audits confidentiels, comptes rendus de comités stratégiques, mails internes… les policiers ont mis la main sur des dizaines de documents relatifs au rachat d’Uramin, pour la plupart confidentiels.

Olivier Fric, qui se présente comme «consultant en énergie», a-t-il utilisé cette documentation nourrie pour spéculer sur Uramin ? «Aucun élément retrouvé ne permet de compromettre pénalement mon client», assure son avocat, maître Mario Stasi. Mais la piste est très sérieusement envisagée par Tracfin, le service antiblanchiment de Bercy. Dans une note datée du 31 juillet 2015, révélée par Charlie Hebdo et que Libération a pu consulter, Tracfin met en lumière des «flux atypiques» sur plusieurs comptes détenus par Olivier Fric. Des flux qui pourraient être constitutifs d'un délit d'initiés en lien avec le rachat d'Uramin.

Mélange des genres. Le service pointe en particulier un compte ouvert au Crédit suisse, détenu par la société Amlon Limited. Immatriculée aux îles Vierges britanniques, cette coquille détient un compte dont les ayants droit économiques sont Olivier Fric et un de ses associés, Franck Hanse. Entre le 18 mai et le 12 juin 2007, 19 ordres d'achat ont été passés sur le compte de cette société, pour l'acquisition de 326 850 titres de la société Uramin. Le 20 juin, quelques jours après l'annonce de l'OPA d'Areva sur Uramin, tous ces titres sont cédés en une seule opération, créant un bénéfice net de 299 000 euros. Une partie de ces fonds a ensuite été transférée sur le compte d'une autre société basée au Liechtenstein, appartenant elle aussi à Fric. Conclusion de Tracfin : «Il peut être raisonnablement envisagé qu'[il] ait disposé d'une information dont n'ont pas bénéficié les autres acteurs du marché boursier, pour en tirer profit par l'entremise d'entités juridiques sous son contrôle.» Par ailleurs, précise le service antiblanchiment, les ordres d'achat et de vente de titres ont été effectués sur les comptes bancaires d'une des sociétés dont Olivier Fric est l'ayant droit économique, «laissant penser à une volonté de masquer l'opération». La note révèle en outre que le mari d'Anne Lauvergeon détient plusieurs comptes à l'étranger, qu'il n'a déclarés au fisc qu'à partir de 2013. «La détention par M. Olivier Fric d'avoirs à l'étranger, y compris par le truchement de structures juridiques off shore, est susceptible d'être constitutive de faits de blanchiment de fraude fiscale», ajoute Tracfin.

Le rôle d'Olivier Fric est une des clés du scandale Uramin. Pendant longtemps, sa présence fréquente dans les couloirs d'Areva a irrité. Un jour, un membre du comité de direction s'en est même ouvert auprès d'Anne Lauvergeon. Un mélange des genres dont a témoigné un ancien cadre de l'entreprise devant les policiers. «Il était de notoriété publique au sein de [la division des Mines] que M. Fric tournait autour des dossiers stratégiques, a-t-il expliqué. Entre collègues, nous ne parlions jamais ouvertement de son immixtion dans les dossiers mais le sujet était récurrent et apparaissait comme un secret de polichinelle plus ou moins rentré dans les mœurs». Très au fait des dossiers, Olivier Fric n'hésite pas à faire passer les CV à sa femme pour les postes les plus sensibles - c'est lui qui a transmis celui de Daniel Wouters (lire page 5) - et ponctue régulièrement ses mails d'un «j'en ai discuté avec Anne».

Couloirs. Mais le mari de la patronne ne se contente pas de traîner dans les couloirs en se donnant de l'importance. Il s'est impliqué dans la gestion du dossier Uramin, notamment en Namibie. Pour exploiter la mine de Trekkopje, Areva a lancé à grands frais la construction d'une usine de dessalement d'eau. Le contrat a été décroché par la société UAG, qui va aussitôt recruter Olivier Fric comme consultant. Plus troublant encore : le mari d'Anne Lauvergeon a cherché à investir dans Swala, la mystérieuse société de Wouters. Dans un mail de 2011, ce dernier annonce à ses associés qu'Olivier Fric veut entrer au capital de Swala, société dans laquelle les anciens actionnaires d'Uramin sont également associés. Dans quel but ? C'est un des nombreux points que l'enquête devra encore éclaircir.