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Histoire

Révision constitutionnelle: la patate chaude est dans le camp de la droite

Déchéance de nationalité, la polémiquedossier
317 députés ont voté pour l’inscription de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Mais le Sénat devrait modifier le texte.
Manuel Valls, le 10 février à l'Assemblée nationale. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 10 février 2016 à 20h21

Manuel Valls a osé. Après sept semaines de fracturation lente de la gauche sur la déchéance de nationalité, le Premier ministre a salué mercredi «un beau jour pour la France et l'unité face au terrorisme». Après plusieurs coups de chaud côté majorité mardi soir, le projet de révision constitutionnelle venait d'être approuvé à l'Assemblée nationale par 317 voix pour et 199 contre. Soit un peu plus que la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Un «immense soulagement» pour l'exécutif qui a passé la nuit et la matinée à mettre la pression sur les indécis, dixit un conseiller gouvernemental. Depuis l'Elysée, François Hollande suivait «le débat en temps réel si on en croit les SMS qu'on a reçus depuis vendredi», sourit un ténor socialiste. In fine, 25 des députés qui s'étaient opposés à la déchéance mardi soir ont basculé vers l'abstention sur l'ensemble du texte mais 83 socialistes ont quand même voté contre. Dont sept anciens ministres, des présidents de commissions parlementaires et des députés loyalistes du «marais» socialiste. Un score jamais vu depuis le début du quinquennat. «La gauche divisée, ce n'est pas une nouveauté, analyse froidement un conseiller de l'exécutif. La grosse leçon de cette révision, c'est que ce n'est pas une affaire de frondeurs et d'écolos.» Et que la majorité a donc un vrai problème de rassemblement pour 2017, que le remaniement annoncé comme imminent ne suffira pas à résoudre. Maintenant, «on refile ça au Sénat et on se remet au boulot sérieusement, souffle un dirigeant socialiste. Sur les marchés, les gens nous parlent de chômage, pas de déchéance».

Pour un ministre proche de Valls, l'enjeu était double et l'équation était simple : «Plus la gauche vote, plus la droite est en difficulté. Plus l'Assemblée vote, plus le Sénat est en difficulté.» Le texte devrait arriver en commission des Lois au Palais du Luxembourg début mars, pour un examen en séance vers le 15.

«Serment». A droite aussi, le camp du oui s'est nettement renforcé mercredi. Au groupe Les Républicains, 60% des suffrages étaient en faveur de la révision constitutionnelle. Ils n'étaient qu'à peine plus de 50% la veille, lors du vote de l'article 2 instaurant la déchéance de nationalité. Même si ce résultat reste en deçà de ses espérances, Nicolas Sarkozy a dit sa «satisfaction» d'avoir été suivi par la majorité des députés LR. De nombreux députés ont manifestement été sensibles à l'argument que leur a servi mardi l'ancien chef de l'Etat. A peu près le même que celui qu'a martelé Manuel Valls à gauche : la menace terroriste est si grave que les Français ne comprendraient pas que des parlementaires refusent d'inscrire dans la Constitution l'Etat d'urgence et la déchéance de nationalité. Il faut, quoiqu'il en coûte, respecter «le serment» du congrès réuni le 16 novembre autour du chef de l'Etat, expliquaient mercredi de nombreux députés LR, tout en reconnaissant que cette révision constitutionnelle était, au fond, «plutôt inutile».

Le député Patrick Devedjian aura vainement dénoncé «l'absurdité» de l'argument selon lequel les élus devaient changer la Constitution pour satisfaire leurs électeurs : «Ce n'est pas du tout le rôle d'un élu. Certes, nous sommes porteurs des aspirations populaires. Mais nous devons surtout expliquer ce que fait le législateur. On me dit : "Que direz-vous demain s'il y a un attentat ?" Mais je peux aussi bien retourner cette question : et que faisons-nous s'il y a un nouvel attentat au lendemain de cette réforme ?» «Ce texte ne sert à rien. Tout le monde le sait», a renchéri de son côté François Fillon après le vote de l'Assemblée.

«Ligne rouge». Mais le film de la déchéance ne fait que commencer. Et notamment pour la droite. La patate chaude arrive donc le mois prochain au Sénat où l'ex- Premier ministre compte de nombreux amis. A en croire les nombreuses déclarations du président de la chambre haute, Gérard Larcher, et du chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, il paraît impossible que les sénateurs votent à l'identique le texte de l'Assemblée. Ils ont maintes fois affirmé qu'il n'était pas question d'accepter une réforme qui «ouvre le champ de l'apatridie». Or cette «ligne rouge» a été franchie puisqu'à la demande de nombreux socialistes - et de quelques centristes -, le gouvernement a renoncé à réserver aux seuls terroristes binationaux la déchéance de nationalité, comme le prévoyait le premier projet. En principe, le Sénat devrait donc réécrire le texte en rétablissant la distinction entre nationaux et binationaux. Réécriture inacceptable pour la majorité de gauche à l'Assemblée, ce qui bloquerait le processus de réforme constitutionnelle. Pariant sur ce dénouement, Fillon a invité hier le chef de l'Etat à «arrêter les frais» en retirant «ce texte qui divise profondément tous les groupes du Parlement». Peu probable qu'il soit entendu.

Hollande peut encore espérer que Nicolas Sarkozy volera au secours de sa réforme en invitant les sénateurs LR à chercher un compromis, sans être trop regardant avec les dépassements de «ligne rouge». Le succès de l’entreprise est loin d’être assuré, la droite sénatoriale étant bien peu sarkozyste.