La parole présidentielle a une vertu : elle crée à vitesse grand V des spécialistes du droit. Après l’affaire de la déchéance de nationalité, qui a produit en deux mois plus d’experts de l’apatridie que la France n’en avait jamais compté, le dossier Notre-Dame-des-Landes pourrait avoir le même effet en matière de droit des collectivités locales.
L'annonce, jeudi soir, par François Hollande, de la tenue d'un «référendum local» sur la pertinence de bâtir ou non une nouvelle aérogare dans la région nantaise a déclenché moult commentaires. «Fausse bonne idée»,«infaisable juridiquement», «enfumage», etc. Constatant la paralysie de ce dossier, à l'arrêt depuis fin 2012, le chef de l'Etat espérait trouver une porte de sortie. Place à la démocratie directe afin que «l'on sache exactement ce que veut la population, a-t-il martelé. Si c'est oui, alors tout le monde devra accepter cette décision. Si c'est non, l'Etat en tirera les conséquences.»
Sur le papier, tout semble clair. En pratique, c'est beaucoup plus compliqué. «Le texte qui permettrait d'organiser ce qu'a annoncé le Président n'existe tout simplement pas aujourd'hui, résume Arnaud Gossement, avocat spécialiste des questions d'environnement. Un référendum local ne peut être organisé par une collectivité territoriale (commune, département ou région) que sur un sujet qui relève de sa compétence. Or, ce n'est pas le cas ici, puisque la décision a été prise par l'Etat. C'est lui qui a déclaré les travaux d'utilité publique.» L'hypothèse d'une «consultation locale», pour avis, est presque aussi improbable, pour la même raison.
Qu’en disent les partisans de l’aéroport ?
Bruno Retailleau, président LR de la région Pays de la Loire, ne s'est pas privé de tacler la proposition élyséenne : «Je ne joue pas le jeu. Ce n'est pas un jeu et il n'y a pas de règles.» Farouche partisan de l'aéroport, l'élu dénonce une «manœuvre dilatoire pour ne rien décider avant la présidentielle de 2017». Pour plusieurs membres des exécutifs locaux, qui ont voté quasi unanimement en faveur du projet depuis une dizaine d'années, la piste du référendum revient à bafouer leur légitimité. Ils rappellent que de nombreuses décisions de justice leur ont donné raison, même si plusieurs recours n'ont pas été tranchés.
Et les opposants ?
Pour des raisons différentes, ils s'avouent tout aussi circonspects. Françoise Verchère, ex-conseillère générale Front de gauche, la juge «faussement démocratique», craignant que le vote ne se résume à un «pour ou contre les zadistes», du nom de ces militants qui occupent le site censé accueillir l'aérogare. Raphaël Romi, professeur de droit engagé contre le projet, craint que «l'égalité des armes» ne soit pas respectée en l'absence de cadre juridique solide. Et de faire référence à la récente campagne pro-aéroport dans la presse, financée par la région à hauteur de 60 000 euros.
D'autres «anti» rappellent également qu'une bonne partie du débat public s'est faite sur la base d'éléments au mieux incomplets, au pire biaisés. A leurs yeux, un référendum ne peut se justifier que si le débat public se fait de manière sereine, avec tous les éléments à disposition (coût réel du projet, impact environnemental, solutions de remplacement). Ils comptent beaucoup sur l'étude commandée à ses services par Ségolène Royal, la ministre de l'Ecologie, pour évaluer les projets «alternatifs ou complémentaires».
Qui serait concerné par le vote ?
Enfin, même si un cadre juridique finissait par émerger pour la tenue de ce référendum local sur un projet d’envergure nationale (via une nouvelle loi), plusieurs questions resteront à trancher : quelle formulation, quel périmètre, quel organisateur ? Sur bien des aspects, le flou demeure. Vendredi, Matignon a juste indiqué que le périmètre serait défini par les exécutifs locaux.
Néanmoins, ce projet d'«aéroport du Grand Ouest» pourrait difficilement laisser hors du jeu les électeurs bretons, qui participent à son financement. Marc Le Fur, député (LR) des Côtes-d'Armor, le revendique : «La Bretagne est évidemment concernée.» Mais plus l'aire du vote s'élargit, plus la participation risque d'être limitée.
Autre risque : un vote «non» pour sanctionner le gouvernement et sa politique nationale. Quant aux zadistes, qui voient dans la proposition de Hollande un «cadeau empoisonné», ils annoncent qu'ils ne donneront «pas de consignes pour aller voter ou pas».
Peut-il régler le dossier ?
Au-delà de cette «procrastination juridique pour gagner du temps» (Gossement) , qui risque toutefois d'enflammer les discussions pendant des mois, la question de fond demeure : l'Etat est-il prêt, référendum ou non, à enterrer le projet ? Dans tous les cas, c'est lui qui doit trancher. Plusieurs solutions existent : abroger la déclaration d'utilité publique, attendre 2018 pour que les expropriations deviennent impossibles… Vinci, qui a obtenu la concession du futur aéroport, devra être indemnisé. Comme dans le dossier Ecomouv' (société chargée de collecter l'écotaxe, avant que le gouvernement ne l'enterre), la facture pourrait être salée.