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Libération
Récit

«Des gens sont sortis des buissons et ont commencé à nous frapper»

De plus en plus de migrants sont victimes d’agressions. Jeudi, sept hommes ont été placés en garde à vue après avoir été pris en flagrant délit de ratonnade près de Dunkerque.
publié le 12 février 2016 à 20h01

Des cagoules, des barres de fer. Des hommes sur un parking, venus casser du migrant la nuit. «Je n'ai jamais vu ça à Dunkerque, raconte le procureur Eric Fouard. C'est insupportable, et on ne laissera pas faire.» Dans la nuit du 10 au 11 février, la police a pris sur le fait sept hommes de 24 à 47 ans qui auraient agressé des Kurdes d'Irak à Loon-Plage, près de Dunkerque. Les faits se sont déroulés sur un parking où des migrants se cachent pour attendre un passage en Angleterre. Cinq d'entre eux viennent du Pas-de-Calais. Certains sont actifs dans les mouvements antimigrants ; l'un, au moins, était présent à la manifestation interdite organisée par Pegida le 6 février à Calais. La police a repéré leurs deux voitures dans cet endroit insolite, et a intercepté les cinq Kurdes qui tentaient de fuir les agresseurs. Elle a retrouvé deux barres de fer sur les lieux, puis une bombe lacrymogène et une troisième barre de fer dans l'une des voitures.

Trois des cinq migrants ont été «frappés», selon le magistrat, qui évoque des violences «légères». Les sept agresseurs présumés, dont certains ont déjà été condamnés pour des faits de vols et de violences, ont été placés en garde à vue à Coquelles, près de Calais. Le procureur, qui devait les présenter vendredi à un juge d'instruction, a annoncé l'ouverture d'une information judiciaire pour «violences en réunion et participation à un groupement en vue de la préparation d'actes de violences volontaires contre des personnes». Il va requérir leur mise en examen et un placement en détention provisoire.

«Matraque». Les violences sur migrants sont devenues monnaie courante, notamment à Calais, à une trentaine de kilomètres de Loon-Plage. Mais c'est la première fois que la police tombe sur une ratonnade. Sans commune mesure avec le nombre de plaintes - «quatre à cinq migrants ont déjà saisi la justice» d'après le procureur de Boulogne-sur-Mer, Jean-Pierre Valensi, au moins deux fois plus selon les associations -, les témoignages affluent. Plus d'une cinquantaine, selon le centre juridique installé dans la «jungle» de Calais, à l'initiative de l'appel des 800 (lire Libé du 21 octobre) et de Médecins du monde.

Un homme raconte : «Un groupe d'environ dix personnes est arrivé avec des lampes de poche. Ils m'ont dit "Retourne à la jungle".» J'ai essayé de m'échapper. Ils m'ont frappé aux jambes avec une matraque, et sur la tête avec leurs poings. Je me suis recroquevillé. Ils m'ont donné des coups de pied et des coups de poing. Je me suis évanoui.» Un ado : «Une voiture nous a coupé la route et des hommes sont sortis avec des matraques, des bâtons électriques et des bombes lacrymogènes. Ils m'ont plaqué au sol, frappé avec leurs matraques sur mes jambes et ma main.» Et puis : «J'ai reçu un coup sur la tête, j'avais du sang plein le visage. Je criais de toutes mes forces. Pour me faire taire, un des hommes a écrasé sa chaussure sur ma bouche.» Ou encore : «Des gens sont sortis des buissons et ont commencé à nous frapper pendant trois ou quatre minutes avec des matraques comme celles de la police. J'ai reçu un coup sur la nuque. Je suis tombé. Ils m'ont frappé partout très fort, sur les mains et dans le dos. Ma main a été cassée. Je me suis évanoui.» L'affaire de Dunkerque est entre les mains de la police judiciaire de Lille, comme celles des violences commises à Calais ces dernières semaines et pendant l'été 2015.

«Milices». Dans une conférence de presse conjointe avec Médecins du monde et Médecins sans frontières, le centre juridique a annoncé vendredi que cinq plaintes allaient être déposées pour des agressions commises par ce qu'il qualifie de «milices, portant uniforme, matraques, grenades lacrymogènes, tasers», mais aussi huit contre des forces de l'ordre. Marianne Humbersot, directrice du centre juridique, secondée par l'avocat en retraite bordelais Raymond Blet, évoque un cas de «simulacre d'exécution» par des policiers et de «tentative de meurtre» par des civiles, mais refuse mordicus, «pour protéger les victimes», d'apporter des preuves, en détaillant notamment les faits dénoncés. «La moitié de la vingtaine de témoignages de violences policières qui nous sont parvenus depuis le 21 décembre sont des violences qui ne concernent pas les confrontations au moment du passage, mais des violences qu'on peut qualifier de gratuites, explique Isabelle Bruand, coordinatrice régionale de Médecins du monde. Des policiers qui croisent un migrant, qui s'arrêtent, et qui tapent.» Médecins sans frontières a signé 90 certificats médicaux de violences policières.