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Le squelette de Montcigoux démythifié

Le cadavre découvert en 1913 sous le plancher d’un manoir à Saint-Pierre-de-Frugie, dans le Périgord, va être confié aux experts judiciaires de Cergy-Pontoise. Les légendes qui alimentent la chronique locale risquent de ne pas résister à l’analyse scientifique.
Le squelette dit "Ernest" dans la tour du manoir de Montcigoux, à Saint-Pierre-de-Frugie, France. (Yohan Bonnet / Hans Lucas pour Libération)
publié le 14 février 2016 à 19h41

Pour la première fois depuis sa découverte en 1913 sous le plancher d’une dépendance du manoir de Montcigoux, à Saint-Pierre-de-Frugie (Dordogne), le squelette humain remisé dans la tour du manoir va être déplacé. Ce lundi, il sera confié au pôle d’expertise judiciaire de la gendarmerie à Cergy-Pontoise pour tenter de percer un mystère qui alimente la chronique du hameau depuis cent trois ans.

Mais ce faisant, les militaires pourraient priver le charmant hameau d'une fable qui se transmet depuis des générations. Ici, tout visiteur reçoit un drôle de livret : la reproduction du tiré-à-part publié par le journal local en 1933. Un récit «d'une indiscutable authenticité, où il est question d'un châtelain disparu après un voyage en Amérique», selon l'auteur de la chronique publiée vingt ans après la macabre découverte. Mais, grâce à Bernard Aumasson, un historien amateur habitué de la région, ce récit «authentique» est en train de se révéler être une grande fable.

C’est en 1913 que démarre le feuilleton. Alors qu’ils creusent une cave dans une dépendance, des maçons découvrent un squelette allongé au pied de la cheminée. Pour les villageois, il s’agit d’Ernest de Fontaubert, chef de famille de l’ancienne maisonnée, parti avec sa sœur en 1850 chercher de l’or en Californie. On ne l’a plus jamais revu.

Inceste. En 1933, Antoine Valérie, talentueux narrateur mais piètre enquêteur, publie une série d'articles prétendant conter la véritable histoire. Dans sa version, le gentilhomme à son retour des Amériques, les poches bourrées d'or, est assassiné par son bossu de frère, Arthur, jaloux d'être écarté des affaires familiales et écœuré par les prétendues amours incestueuses d'Ernest et Ernestine. Il aurait caché le corps sous le plancher de sa chambre et ensuite emmuré sa sœur dans la tour.

Sexe, trahison, transgression, vengeance… les ressorts littéraires sont parfaits. Trop pour Bernard Aumasson. En 2011, il reprend l'enquête. En 2013, la nouvelle tombe : Ernest a été assassiné en 1862 près de Cave City en Californie, un village de chercheurs d'or où il résidait avec sa sœur et où repose sa dépouille. L'enquêteur démontre qu'Ernest était marié, et que son épouse Thérèse entretenait avec sa belle-sœur une chaleureuse correspondance. Il établit que la fratrie comportait cinq et non trois héritiers. Pour les petits squelettes exhumés au début du XXe siècle près d'un cyprès, dont Antoine Valérie avait fait les victimes de l'inceste, l'historien a une explication : «La généalogie montre que cinq enfants sont nés de légitimes unions. Tous sont morts en bas âge. Ils ont probablement été inhumés sur la propriété.»Une équipe se constitue autour de Bernard Aumasson pour continuer l'enquête. «Car il y a un bien un cadavre qui se trouvait en un endroit curieux pour un mort», estime le colonel de gendarmerie Patrick Chabrol, qui escortera le squelette à Paris.

Acte II. Propriétaire des lieux depuis 1977, Gilbert Chabaud envisage le départ de son hôte avec émotion. «Il n'est jamais parti… Mais si la science peut nous aider, c'est important de le faire.» Marc Wilmart, auteur d'un film sur l'affaire, immortalisera l'acte II. Pour sa part, Alain Vignol, habitant de Saint-Pierre-de-Frugie, n'en démord pas : «Si ça n'est pas Ernest, il y a un mystère qu'il faut m'expliquer !»