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Libération
Éditorial

Non, la gauche n’est pas «irréconciliable»

Valls et Mélenchon sont d'accord sur un point, ils ne veulent pas gouverner ensemble mais semblent oublier que sans union entre les différentes familles de la gauche - même difficile - il n’y a pas de victoire possible.

Manuel Valls à Corbeil-Essonnes, le 15 février. (Photo Laurent Troude pour Libération)
ParLilian Alemagna
Journaliste au service Politique
Publié le 16/02/2016 à 19h01

C'est l'un des rares domaines sur lesquels ils sont d'accord : «Il y a des positions irréconciliables à gauche et il faut l'assumer», a déclaré lundi soir Manuel Valls lors d'un «rassemblement républicain» organisé à Corbeil-Essonnes, devant des militants et sympathisants de sa circonscription. Il y a quelques semaines, on retrouvait déjà ce discours dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon : «Il y a deux lignes [à gauche] et il faut trancher. Dans une démocratie, c'est le suffrage universel qui permet de trancher.» Pas question de participer à une primaire qui pourrait - pourtant - avoir l'avantage de s'accorder sur un(e) candidat(e) commun(e) (et donc sur le programme qui va avec) avant le premier tour de la présidentielle pour être sûr que la gauche soit représentée au second. Sur ce point aussi, Valls et Mélenchon sont d'accord : «Je ne peux pas gouverner avec ceux qui considèrent que François Hollande, c'est pire que Nicolas Sarkozy, ou que Manuel Valls, c'est pire que Jean-Marie Le Pen», a lancé le Premier ministre en Essonne. Dans la même soirée, au théâtre Déjazet, à Paris, où il donnait son premier discours de candidat version 2017, Mélenchon a rejeté une nouvelle fois toute participation à une primaire : «On me dit qu'il faut rassembler la gauche. Me rassembler avec Valls ? Ça va pas, non ?»

Les deux hommes ont pourtant été membres du même parti. Mélenchon était même patron de la fédération PS de l'Essonne quand le jeune Valls a débarqué dans le département. Aujourd'hui, ils parient tous deux sur une nouvelle ère politique. Celle de la fin du clivage gauche-droite. Une recomposition politique de grande ampleur qui marquerait la fin d'une règle cardinale sous la Ve République : sans union, la gauche est réduite au camp de l'opposition. Pourtant, ils ont tous les deux expérimenté, tout au long de leur carrière, une réalité politique française : sans union entre les différentes familles de la gauche - même difficile - il n'y a pas de victoire possible. Sinon, pourquoi l'actuel Premier ministre aurait-il constitué, en 2008, une liste d'«union de la gauche», communistes compris, pour l'emporter dès le premier tour aux municipales ? Mélenchon a lui-même été, durant deux ans, ministre d'un Lionel Jospin qui ne serait jamais arrivé à Matignon sans une alliance entre roses, verts et rouges. François Hollande, en 2012, n'aurait pas résisté au retour de Nicolas Sarkozy dans l'entre-deux tours sans trois des quatre millions d'électeurs de Mélenchon qui se sont reportés sur lui. Et en Europe (Espagne, Portugal…), c'est aussi grâce à des unions post-électorales avec «l'autre gauche» que les sociaux-démocrates ont fait leur retour au pouvoir. Lorsqu'ils le refusent, comme en Allemagne, ils en sont réduits à participer à une «grande coalition». En simples junior partners de leurs adversaires conservateurs. Ils n'ont plus vu la chancellerie depuis dix ans.