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Analyse

Pour Sarkozy, un retour en piste pour mieux faire oublier les excès de campagne

C’est d’abord pour être en position de mieux affronter la justice que Nicolas Sarkozy est redevenu chef de parti.

Nicolas Sarkozy le 13 novembre 2013. (Photo Laurent Troude)
Publié le 16/02/2016 à 21h21

Bygmalion, unique objet de son ressentiment. A force de marteler, à longueur de discours, qu’il est revenu pour pacifier et reconstruire sa famille en ruine, Nicolas Sarkozy aura presque réussi à faire oublier l’essentiel : c’est d’abord pour mieux faire face à ses ennuis avec la justice qu’il a dû se résigner à reprendre la présidence de l’UMP, devenu Les Républicains.

Prévisible, ce pénible rendez-vous intervient après une réunion des cadres du parti durant lequel Sarkozy a laborieusement tenté de restaurer son leadership, toujours très contesté. «Le parti sera son linceul», prédisait dimanche un parlementaire. La mise en examen de ce mardi renforce ce pronostic.

Si Libération n'avait pas révélé le 15 mai 2014 l'existence d'un système de fausses factures payées par le parti à la société de communication Bygmalion pour couvrir les frais de la campagne de 2012, Jean-François Copé serait resté patron du parti et l'ancien chef de l'Etat aurait paisiblement attendu son heure, soignant sa popularité, cultivant sa stature d'homme providentiel, à l'image de Charles de Gaulle avant 1958… Redevenir chef de parti ? «Plutôt me faire moine», expliquait-il du fond de sa retraite. Jusqu'à ce 15 mai 2014, les sarkozystes soutenaient ardemment Copé. Ils saluaient sa contribution à l'impressionnante vague bleue des municipales de mars 2014. Ils ne trouvaient pas du tout que le parti était un champ de ruines ni que le chef «devait» revenir pour le relever.

Comédie berlusconienne

La bombe Bygmalion a tout chamboulé. L'ancien chef de l'Etat ne pouvait laisser personne d'autre briguer la succession de Copé. Plutôt que d'attendre passivement les convocations, Sarkozy a estimé qu'il devait remonter sur la scène politique, afin que ce ne soit plus un ex-président retraité mais le chef de l'opposition qui se trouve confronté aux juges. Il avait rêvé d'un retour majestueux et gaullien ; il devra se contenter d'une comédie berlusconienne. Redevenu chef de parti, il allait pouvoir se poser en victime d'un harcèlement judiciaire censé viser, au-delà de sa personne, sa famille politique tout entière. N'avait-il pas comparé «aux activités de la Stasi» les écoutes qui avaient débouché en mars 2014 sur sa mise en examen pour trafic d'influence ?

Au lendemain de la démission forcée de Copé, le 26 mai 2014, les sarkozystes se sont mobilisés pour contester la légitimité du triumvirat Juppé-Fillon-Raffarin, désigné pour assurer l'intérim à la tête du parti. Il fallait à tout prix empêcher la formation d'un front anti-Sarkozy. Car à cette date, alors que l'enquête judiciaire n'a pas encore commencé, de nombreux leaders de la droite sont déjà intimement convaincus que «l'affaire Bygmalion» est d'abord l'affaire des comptes de la campagne présidentielle. Il est évident pour eux, dans ces conditions, qu'un retour de Sarkozy serait extravagant. Beaucoup le pensent. Certains le disent. Devant ses amis réunis le 3 juin 2014 à Paris, François Fillon avait été très explicite : «Des millions d'euros détournés… C'est cela la politique ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Peut-on mentir, tricher, détourner l'argent des adhérents et des sympathisants et prétendre représenter la France et les Français ? Non !» Dans la foulée, le filloniste Bernard Debré appelait la droite à «couper les branches mortes» et à constater «l'impossibilité» d'un retour de Sarkozy. Xavier Bertrand, ex-secrétaire général de l'UMP, estime alors que tous «tous ceux qui ont été impliqués» dans la campagne présidentielle doivent «rester à l'écart» du parti.

Il en aurait fallu beaucoup plus pour impressionner l’ancien chef de l’Etat. Fort de sa popularité intacte dans le noyau dur de l’électorat de droite, il a fait le pari que personne n’oserait lui contester le droit de reprendre sa couronne de chef du parti. Pari gagné : lors de la campagne qui l’opposera à Bruno Le Maire, à l’automne 2014, plus personne ne parlera ouvertement de la campagne de 2012, cette énorme épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du revenant.

Hold-up des amis de Copé

Comme pour souligner la trivialité des petits juges qui lui cherchent des poux dans la tête, Nicolas Sarkozy se répand avec lyrisme sur ses grands projets pour les Français. Au Figaro Magazine, il raconte qu'il veut «réinventer le modèle démocratique français» ou encore «refonder le corpus idéologique» de la droite. Il explique que tout cela passe par une liquidation de cette malheureuse UMP. Il se fait fort de créer un vaste rassemblement ouvert aux centristes et à la société civile. Il parle de tout changer, de tout révolutionner en faisant voler en éclat le vieux clivage droite-gauche. Pour désigner ce «creuset d'une nouvelle alliance avec les Français», il propose un nouveau nom : Les Républicains (LR). Et là encore, personne ne sera dupe : en proposant cette nouvelle dénomination, massivement approuvée par les militants, Nicolas Sarkozy voulait rayer du vocabulaire politique ce sigle UMP, si chargé de menaces. Là encore, il est arrivé à ses fins, malgré les réticences de certains proches d'Alain Juppé.

Mais tous ces efforts n’auront pas suffi à faire disparaître l’indissoluble lien entre le retour de Nicolas Sarkozy en chef de parti et l’affaire de ses comptes de campagne présidentielle. Il est vrai que l’ex-chef de l’UMP Jean-François Copé aura tout fait pour que personne ne l’oublie. Toujours présent aux réunions du bureau politique de LR, il s’assoit de préférence bien en face de son successeur et accusateur pour le contredire dès que l’occasion se présente.

Car à en croire Nicolas Sarkozy, l'affaire Bygmalion ne serait rien d'autre qu'un hold-up des amis de Copé qui ont profité de la campagne présidentielle pour vider les caisses de l'UMP. Depuis qu'il est sorti en tant que simple témoin assisté du bureau des juges, le 8 février, Jean-François Copé célèbre bruyamment sa vengeance et son «innocence», laissant lourdement entendre qu'il aurait été, en mai 2014, la victime expiatoire d'un crime qui le dépassait.