Mayran, 630 habitants, mais pas l'ombre d'un chat dans les rues. Même le café-restaurant-épicerie est fermé. Le seul commerce ouvert, c'est une minuscule boulangerie ; blottie à l'intérieur, la patronne répète en boucle «c'est dramatique» – et ajoute cette étrange formule : «On est blessés dans l'orgueil du village…»
Personne ne sait encore bien ce qu’il s’est passé mercredi matin dans la ferme laitière située là-bas, un peu en dehors de Mayran. Les enquêteurs affirment qu’un des deux frères Espinasse, Xavier, 47 ans, a poussé dans l’étang de la propriété une femme de 25 ans, technicienne de la chambre d’agriculture de l’Aveyron. Une femme venue effectuer des prélèvements de routine dans cette exploitation laitière, tenue par Bertrand Espinasse. C’est lui, avec un voisin, qui a appelé les pompiers. Mais c’était trop tard : la jeune femme est morte dans l’étang.
«Pas de problèmes financiers particuliers»
«On ne sait pas ce qui a bien pu se passer, on ne peut pas l’expliquer, répète Yves Mazars, maire de Mayran. Ces frères âgés de 47 et 46 ans sont tous les deux célibataires et chasseurs. Ils vivent avec leur père, sont très appréciés dans le village.» Le premier adjoint, Francis Mouly, opine du bonnet, l’air totalement abattu. Tous deux voient défiler dans le village, depuis des heures, les équipes de journalistes venus des villes, qui leur demandent d’expliquer le drame. Mais ils ne le peuvent pas. Pas encore. «A priori, cette exploitation est bien gérée. On n’a pas entendu parler de problèmes financiers particuliers. Non, on ne comprend pas…
Le procureur de Rodez, Yves Delpérié, ne semble pas comprendre davantage ce qui a bien pu pousser Xavier Espinasse à «prendre la technicienne à bras-le-corps et à la traîner vers l’étang». «La motivation de l’agresseur demeure extrêmement floue», reconnaît-il. Cette mission de routine s’était déroulée normalement, elle n’avait été marquée par aucune dispute, aucun contentieux n’était signalé entre les frères et la chambre d’agriculture, l’exploitation n’est pas signalée comme étant en difficulté particulière… Quant à Xavier, il n’a aucun antécédent judiciaire et réside, «sans statut particulier», précise le procureur, sur cette exploitation familiale de taille moyenne. L’homme n’a pour l’heure donné aucune explication. L’autopsie de la victime et l’expertise psychiatrique du suspect en diront peut-être plus.
«Les gens sont à bout»
Mais dans le milieu des éleveurs, ce drame n’étonne guère. «On n’a pas de visibilité sur les exploitations, on navigue à vue et ça fait un moment que ça dure», s’emporte Serge, un éleveur de veaux établi près de Villefranche-de-Rouergue, et qui vient tout juste de prendre sa retraite. «Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-bas, à Mayran, mais nous, la chambre d’agriculture, on l’aimait pas. Avec eux, il fallait toujours répondre à des normes et à de nouvelles contraintes, et ça nous a plombés pendant des années.» Lucien, lui, intervient dans de nombreuses exploitations de l’Aveyron en tant que prestataire de services agricoles. «Les gens sont à bout, confie-t-il. Ils ne gagnent plus rien, ils sont à cran.» Et d’ici à penser qu’ils peuvent facilement péter les plombs, il n’y a qu’un pas.