Marcel Rufo, pédopsychiatre et fondateur de la Maison de Solenn à Paris, était jusque récemment directeur médical de l’Espace méditerranéen de l’adolescence à l’hôpital Salvator de Marseille
(Photo C. Truong-Ngoc. Wikimiedia).
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Les enfants tyrans, cela n’a-t-il pas toujours existé ?
Tout dépend de ce dont on parle. L’agitation d’un enfant peut être le symptôme du fonctionnement d’une famille. Mais c’est vrai que je vois beaucoup de petits enfants, de 3 ans, qui arrivent à mettre à genoux leur famille.
Comment l’expliquez-vous ?
J’évoque souvent un changement des familles. Pour le dire vite, les parents veulent d’abord séduire, et non plus éduquer. A 3 ans, par exemple, les enfants sont dans une phase mégalomaniaque. La séduction ne marche pas. Quand on se met à crier dessus non plus. Et dans ce cas, ils ont gagné. Moi, je leur parle.
Vous avez des exemples ?
Aujourd’hui, on veut comprendre nos enfants en adoptant une sorte de démocratie familiale. Beaucoup de parents sont encore en faillite de «oui» et de «non». Ils n’ont pas encore compris que quand on dit à un enfant «ça suffit, mais tu sais que je t’aime», le petit n’entend que la dernière partie de la réponse.
Je viens de recevoir une petite fille qui ne voulait jamais aller aux toilettes. Je me suis adressé plutôt à elle, et c’est incroyable comme les enfants peuvent comprendre. Je lui ai dit que l’on avait parlé, qu’elle voulait garder sa maman, qu’elle ne voulait pas s’en séparer. Les parents m’écoutaient, ahuris. Et le soir, ils m’ont appelé : leur petite fille avait été aux toilettes.
Mais faut-il tout psychiatriser ?
La pédopsychiatrie est différente, elle est extrêmement mieux vécue que la psychiatrie. Elle est perçue un peu comme la science du développement. Et elle peut beaucoup aider.
Prescrivez-vous de la Ritaline, un médicament pour les enfants agités ?
La Ritaline, je ne le prescris pas. On veut des enfants parfaits, mais le monde n’a pas à standardiser leur comportement. Si j’en prescrivais, je ne me sentirais plus vraiment thérapeute. Seule l’interprétation de ce que disent l’enfant et sa famille guérit.
De toute façon, un enfant sans parole ne peut pas être heureux. Bien sûr, il y a des situations difficiles, mais si nous devions nous conformer à des schémas, il n’y aurait plus de révolutionnaires, de poètes, de religieux. Et je le répète, l’enfant instable, cela peut être difficile, mais il a toutes les chances de se développer normalement.