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Analyse

Au Parti socialiste, deux pilotes de ligne

Entre la maire de Lille, sociale-démocrate revendiquée, et le Premier ministre, tenant d’une gauche libérale, le divorce est consommé de longue date.

Marylise Lebranchu, Martine Aubry, Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis lors d'un meeting de campagne pour les européennes à Lille, en avril 2014. (Photo Philippe Huguen. AFP)
Publié le 24/02/2016 à 20h11

Ces deux personnalités sont irréconciliables, cela ne date pas d'hier et n'est pas qu'une question de caractères. Manuel Valls, 5,6 % au premier tour de la primaire citoyenne de 2011, et Martine Aubry, qui y avait récolté 30,4 % avant de perdre contre François Hollande au second tour, n'appartiennent pas à la même gauche. La maire PS de Lille, qui reste la principale figure de la gauche dite sociale tout en s'affirmant «sociale-démocrate», revendique d'être fidèle à ses valeurs historiques, quand le Premier ministre se pose en héraut d'une gauche libérale qu'il qualifie de «pragmatique», portant une «modernité» conforme, selon lui, aux attentes des Français. «Cette voix, ma voix, elle compte parce qu'elle rencontre, elle correspond plus que jamais à ce dont ce pays a besoin», s'est-il récemment poussé du col lors d'une réunion publique, malgré une popularité en forte baisse, comme celle de François Hollande. La querelle des modernes contre les anciens ? La gauche du XXIe siècle contre celle, forcément «passéiste», du XIXe, comme l'a décrit régulièrement le Premier ministre ? Parmi les contempteurs de la loi El Khomri, on juge à l'inverse que les dispositions les plus libérales de ce texte seraient des régressions, autrement dit des retours en arrière.

Inégalités. Le clivage idéologique entre Aubry et Valls se noue aussi autour du débat entre le «care» d'inspiration américaine [et non scandinave, comme indiqué dans un premier temps par erreur, ndlr] défendu par l'ex-ministre de la Solidarité, et la «prédistribution», portée par Valls dans une stratégie de troisième voie blairiste à la française. Si ces deux concepts visent formellement «l'égalité réelle» des citoyens, le care met l'accent sur les politiques publiques de solidarité et de redistribution à mener une fois les inégalités constatées, quand la prédistribution se focalise, elle, sur les leviers qui doivent permettre en amont, et à moindre coût, de peser sur les facteurs générant ces inégalités.

Valls s'était largement exprimé sur le sujet en décembre 2014, lors d'une conférence à la Fondation Jean-Jaurès. Il avait dénoncé ce «conservatisme [qui] compose et accepte les inégalités», affirmant qu'il s'agit de les «prévenir […] plutôt que nous contenter de les corriger, toujours trop tard, et souvent à la marge». «Faire gagner les gagnants, c'est donc avoir le souci des perdants», avait-il aussi lancé dans une formule à la Macron, l'autre figure de cette gauche qui semble faire de la «création de richesse» une valeur cardinale de son logiciel. Ce qui conduit bien souvent à placer la liberté au-dessus de l'égalité, le tout sur le dos de la fraternité. Dans sa tribune, Aubry enfonce ce clou : «La gauche a appris des mouvements ouvriers qu'il n'y a pas de liberté sans égalité.»

Chapelles. Culturellement, stratégiquement et peut-être historiquement, Aubry et Valls incarnent aussi deux logiques de rassemblement divergentes. La première le conçoit, avec les autres composantes de la gauche anciennement plurielle, peu ou prou autour du PS tel qu'il est. Tandis que le second prône une recomposition au-delà des chapelles existantes et dans un mouvement qui penche vers le centre droit. Comme au Royaume-Uni et en Allemagne, où la gauche sociale-libérale, après avoir été au pouvoir à la fin des années 90 ou au début des années 2000, en a été tenue écartée depuis. Le SPD n'est que le supplétif de la chancelière Merkel dans une coalition, tandis que le Labour a renoué avec le socialisme en portant Corbyn à sa tête. Si le retour d'alliance des gauches en Europe du Sud ravit Aubry, Valls voit en Renzi un cousin qui a (en l'état) mieux réussi que lui.

D’un point de vue plus comptable, François Bayrou étant crédité de 14 % à 15 % des intentions de vote pour 2017 en cas de candidature de Hollande et de Sarkozy, le pari vallsiste qui semble convaincre le chef de l’Etat consiste davantage à draguer le centre «réformiste» qu’à parler aux électeurs, moins nombreux, du Front de gauche ou d’Europe Ecologie-les Verts. Ce schéma, qui passe par une dislocation du PS - que Valls flinguait déjà quand Aubry le dirigeait -, a toutes les chances d’être électoralement mortifère. Au moins à court terme.