Les trois jeunes hommes ont revêtu un costume, ils se sont rasés de près ou ont taillé leur barbe. Ils gagnent bien leur vie, ont des emplois stables : Florent N. est ingénieur télécoms, Lucas S. développe des logiciels, Quentin B. «code du javascript». «Vous êtes informaticiens», résume la présidente de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris devant lequel ils comparaissaient mardi après-midi. Début 2012, les comparses s'appelaient Robert69, Calin Security et Sunki. Ils avaient 23, 22 et 19 ans et frayaient avec la nébuleuse Anonymous.
Ce collectif informel de «hacktivistes», connu pour son masque emprunté au film et à la bande dessinée V pour Vendetta, avait revendiqué les quatre piratages pour lesquels les trois hommes sont jugés. La présidente, Odile Madrolle, voudrait en savoir plus sur cet étrange groupe : «Le mouvement est compliqué à décrire, essaie Quentin B. Il est anarchique dans sa cons titution, tout le monde peut s'en réclamer. Anonymous défend la liberté d'expression et la liberté de manière générale.» Quel rapport entre la liberté d'expression et un syndicat de policiers, objecte la présidente ? Parmi les quatre piratages, c'est celui du syndicat Unité SGP Police FO qui occupera le plus les discussions. L'intrusion dans le site a été suivie de la diffusion en ligne des coordonnées électroniques et téléphoniques personnelles et professionnelles de 541 fonctionnaires, dont plusieurs se sont constitués partie civile.
Quentin B. est jugé pour avoir trouvé la faille ouvrant l'accès aux coordonnées des policiers et l'avoir diffusée sur un forum fréquenté par des Anonymous. Il raconte être tombé par hasard sur le site du syndicat à l'été 2011 alors qu'il cherchait ce genre de faiblesses. Il l'a alors signalée au webmaster, qui n'en fera rien. «Il est d'abord un lanceur d'alerte», plaide son avocat, Matthieu Hy, rappelant que le projet de loi numérique prévoit une exemption de peine pour ces cas précis. En janvier 2012, quand lui prend «l'envie de répondre» aux premières arrestations liées à Anonymous en France et à la fermeture du site de partage MegaUpload par le FBI, Quentin B. s'est souvenu de cette faille. Florent a téléchargé la base de données sur son disque dur, par curiosité, plaide-t-il. Le troisième larron a tweeté le lien à ses 200 abonnés. Lucas répond au juge voix et profil bas : «Je regrette énormément d'avoir diffusé ces données.» Son avocate, Anne-Sophie Laguens, résume son profil en une phrase : «Son pseudo était Calin, son mail Gros nounours bleu et son adresse IP chez sa mère.»
«Pieds nickelés» comme le soutient la défense ? «Etudiants attardés» comme les a qualifiés un avocat des parties civiles ? Le procureur requiert un an avec sursis et 5 000 euros d'amende pour les trois, sans distinction : «Ce sont des férus d'informatique, bien formés, des gens dangereux eu égard aux conséquences des actes qu'ils ont commis.»Le tribunal se prononcera le 22 mars.