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Libération
Décryptage

Des Femen au tribunal pour «exhibition sexuelle» : la loi est-elle sexiste ?

Trois mois avec sursis pour «exhibition sexuelle» ont été requis mercredi contre trois militantes du mouvement Femen au tribunal de Lille. Mais que recouvre exactement ce délit ? Des voix s'élèvent pour en dénoncer le sexisme et l'obsolescence.
Une militante du mouvement Femen grimpant sur la voiture qui conduit Dominique Strauss-Kahn au palais de justice de Lille, le 10 février. (Photo Denis Charlet. AFP)
publié le 24 février 2016 à 18h29

Elles sont trois membres du mouvement Femen, accusées d'«exhibition sexuelle» pour avoir, le 10 février 2015, manifesté le torse recouvert de slogans contre la prostitution et les violences sexuelles faites aux femmes devant le palais de justice de Lille, à l’occasion du procès «du Carlton». Le procureur de la République a requis contre elles trois mois de prison avec sursis et 1 000 euros d'amende.

Les faits qui leur sont reprochés

Ce sont trois militantes de Femen qui, seins nus, s'étaient agrippées à la voiture de Dominique Strauss-Kahn, le 10 février 2015, alors qu'il se rendait à une audience du procès du Carlton dans lequel il était mis en examen pour proxénétisme aggravé. «Your turn to be fucked» (A ton tour de te faire baiser), «Mac clients déclarés coupables», pouvait-on lire sur leurs poitrines.

Lire aussi notre dossier : Affaire du Carlton, le procès

Qu’est-ce que «l’exhibition sexuelle» ? 

D'où vient cette loi qui la sanctionne ?

Datée de 1994, elle est l'émanation d'une ancienne loi dénommée «Outrage public à la pudeur» qui sanctionnait toute forme de nudité strictement dans l'espace public. Celle-ci a été alors reformulée pour mieux protéger certaines victimes d'exhibitionnisme, comme les enfants par exemple.

Pourquoi une formulation aussi imprécise ?

La journaliste et féministe Éloïse Bouton - par ailleurs ex-membre de Femen - fustige le puritanisme des législateurs qui n'auraient pas, à l'époque, osé écrire noir sur blanc «masturbation», ou «parties génitales». Elle-même, qui critique l'imprécision de la loi, dit en avoir subi les effets délétères : elle a été le 1er février 2014 la première femme en France condamnée pour «exhibition sexuelle».

Elle a écopé d'un mois de prison avec sursis, 2 000 euros de dommages et intérêts au curé de la Madeleine ainsi que 1 500 euros au titre des frais de justice, pour avoir, le 20 décembre 2013, manifesté seins nus dans l'Eglise de la Madeleine, en brandissant des foies de veau pour représenter l'avortement du fœtus de Jésus et protester contre la position de l'Eglise sur le sujet. 

«J'ai ouvert la vanne», dit-elle. Elle a fait appel, et se bat depuis pour une reformulation de cette loi qu'elle juge sexiste. Pour elle, ce deuxième procès d'«exhibition sexuelle» à l'égard de Femen ne fait que confirmer l'absurdité de la loi en question.

Pourquoi est-elle obsolète aujourd'hui ?

Quand on parle d'«exhibition sexuelle», on pense au pervers qui attend les enfants à la sortie des classes, aux personnes touchées par une pathologie psychiatrique, ce qui correspond d'ailleurs à la vocation de la loi. Cela ne s'applique pas, par exemple, au cas des militantes de Femen.

Est-ce une loi sexiste ? 

Il y a quelques jours, nous publiions une tribune en leur défense, signée entre autres par Edith Cresson, Erri de Luca, Agnès Jaoui ou encore Taslima Nasreen. Cette dernière pointe justement du doigt ce décalage de la loi avec la réalité, comme le souligne son titre: Juger les Femen pour «exhibition sexuelle», c'est pervertir la loi.

Et Éloïse Bouton d'ajouter : «C'est le chat que se mord la queue. On vous renvoie via cette accusation que ces femmes ont elles-mêmes des problèmes sexuels, psychologiques, voire pathologiques alors que c'est l'objet de leur combat». La militante y voit une véritable volonté politique «d'invalider le mode d'action de ce mouvement féministe en le dépolitisant».

Certaines formes de nudité dans l'espace public se revendiquent désormais comme un acte militant. Une réalité contemporaine qui n'est donc pas encore prise en compte du point de vue de la loi.

Le tribunal de Lille rendra son jugement le 23 mars.