Tout le monde avait souri tant cela ressemblait à un de ces bons mots dont François Hollande est si friand. «Vous en connaîtrez, j'espère, des présidents aussi audacieux que moi», lançait le chef de l'Etat le 14 juillet, chômage au zénith et popularité au plancher. Peu avaient alors entendu la fin de la formule prononcée un jour de fête nationale, car la revendication présidentielle était tout à fait circonscrite : au «pacte de responsabilité» et à la loi Macron, point. Sept mois plus tard, après avoir fracturé son camp en imposant la déchéance de nationalité pour les terroristes chère à la droite dure, Hollande assume son «audace» réformatrice avec la réforme du code du travail portée par la ministre du Travail, Myriam El Khomri. Larguant un peu plus les amarres avec la gauche et prenant les Français pour unique boussole. Une fuite en avant dénoncée par la tribune de Martine Aubry, qui s'inquiète d'«un affaiblissement durable de la France».
Quatre ans après le discours du Bourget, cela semble même dessiner une stratégie de campagne présidentielle en creux, même si le Président se défend désormais de tout «calcul» politique, ce qui fait sourire à droite comme à gauche. «Ne pas tout faire, ne pas défaire, essayer de bien faire», résume le chef de l'Etat depuis quelques semaines. «Hollande se vit comme un président bascule», insiste un de ses plus proches amis politiques, tentant tant bien que mal de vendre la thèse - en vogue - d'un Hollande désintéressé électoralement qui espère juste que l'Histoire lui rendra justice un jour.
Face à la montée du FN, son entourage théorise depuis plus d'un an l'obligation quasi morale d'incarner le «camp du mouvement» opposé à celui du repli, des égoïsmes et des conservatismes. Pour le chef de l'Etat, il faut donc tenter de faire bouger les choses «jusqu'à la dernière minute» du quinquennat sans attendre d'hypothétiques et tardifs bénéfices électoraux de la politique menée depuis quatre ans. A l'heure où Manuel Valls commence à semer des petits cailloux pour la suite, pas question non plus pour Hollande d'apparaître comme le moins réformateur des deux.
«C’est mal parti»
Aux antipodes d'un François Mitterrand qui estimait en 1993 que «contre le chômage, on a tout essayé», le Président choisit de jouer son va-tout social-libéral en faisant à nouveau le pari aléatoire que les entreprises vont créer des emplois. De droite, la future loi sur le code du travail ? «Je suis président. Ce qui m'intéresse, c'est l'intérêt général ; ce qui compte, ce n'est pas de savoir si c'est une loi de droite ou de gauche», a-t-il rétorqué vendredi sur France Inter. Comme un écho cette fois à Lionel Jospin et à son projet présidentiel de 2002 qui n'était «pas socialiste», mais «une synthèse de ce qui est nécessaire, c'est-à-dire la modernité». Comme l'ancien Premier ministre de la gauche plurielle, Hollande tergiverse - le mot est faible - quand on lui demande s'il est toujours de gauche : lui président (de tous les Français) n'est plus militant (du Parti socialiste), mais «toute ma vie est une vie d'homme qui s'est engagé à gauche. Le président doit agir en fonction de ses propres valeurs pour le pays en n'oubliant rien de son engagement», a-t-il tenté d'éclaircir sur France Inter. De toute façon, vu le niveau actuel du chômage, «les Français veulent un travail, pas un contrat de travail», plaide un conseiller de Hollande, balayant les vertiges que provoque la politique présidentielle au sein de la gauche, que les proches du Président jugent déconnectée du pays réel.
«Le Président se dit que c'est mal parti sur sa gauche et que le seul truc qui lui reste, c'est de prendre les Français à témoin qu'il ne s'occupe plus que du redressement du pays, analyse un député loyaliste désabusé. Son pari, c'est que les Français lui sauront gré d'avoir choisi son pays contre son camp. Il prend sa part de risque et, à 20 % dans les sondages à un an du but, autant dire qu'elle est énorme.» Côté PS, le mal se propage. «Le débat sur la déchéance a délité les repères», reconnaît un ministre. S'y sont ajoutés un remaniement mal compris et une menace de passage en force sur une loi portant pourtant sur le sacro-saint dialogue social vanté par Hollande. «Un remaniement n'a jamais d'effet immédiat, ça ne change pas la vie des gens, relativise une ministre. Toute la question est de savoir si tout ce qui est fait aujourd'hui produit des effets à gauche pour plus tard. Il faut qu'on puisse à la fin montrer quelque chose d'honorable aux Français.»
Casus belli
Hollande, lui, assume ses «décisions courageuses», tout en soulignant qu'elles lui sont «reprochées par celles et ceux qui [lui] font confiance». Soit la gauche électorale, totalement éparpillée pour cause de socialisme de l'offre et de pacte de responsabilité - plus de 40 milliards d'euros pour des entreprises qui n'embauchent toujours pas. «Le premier choc frontal, c'était cette priorité à la compétitivité, rappelle un ministre hollandais. Pas banal dans notre histoire collective. Le pacte de responsabilité était idéologiquement dur à faire passer, mais absolument nécessaire» vu l'état de notre industrie et de la concurrence internationale. Mais la réforme du code du travail, elle, passe mal jusqu'au sein du gouvernement. Encore un projet présidentiel qui ne figurait pas au programme de 2012. «Hollande veut apparaître comme celui qui fait le boulot difficile que personne n'a osé faire avant lui, de la réforme des retraites à la baisse du coût du travail», note un secrétaire d'Etat. «Entre le libéralisme sans conscience et l'immobilisme sans avenir, il y a une voie», avait plaidé Hollande en personne en janvier lors de ses vœux devant le Conseil économique et social.
Dans la majorité, on s'interroge surtout sur le timing de ce nouveau casus belli, aussi tard dans le quinquennat. En 2012, ils avaient pourtant été nombreux à conseiller au néoprésident de jeter aux orties son discours de candidat du Bourget dès l'été pour engager une politique de redressement drastique sur la base du rapport catastrophique de la Cour des comptes sur les finances publiques. «Si on avait fait les choses dans ce sens, on aurait peut-être quelque chose à redistribuer aujourd'hui», déplore un ex-ministre. Fraîchement élu, le Président avait décidé de reporter ces choix politiquement compliqués. Assumé en janvier 2014, date de naissance du pacte de responsabilité, le tournant social-libéral est complété en février 2016. «Que de temps perdu, souffle un parlementaire. Pourquoi présenter ces mesures-là maintenant ? Nous n'en tirerons aucun dividende, ni sur le plan économique ni sur le plan politique» avant la présidentielle. La dernière étape de la clarification idéologique «arrive en 2016, qui est un an avant 2017. C'est tard, très tard, je ne vais pas vous dire autre chose», concède un proche du Président - dont l'entourage continue pourtant à croire, mezza voce, à une réélection. Comptant, plus que jamais, sur un effet miroir qui le fera d'autant plus apparaître de gauche que la primaire de la droite poussera les candidats du camp d'en face à surenchérir en libéralisme et en détricotage du modèle social. Manière de se poser en candidat-rempart contre le retour de la droite dure.