Il faudrait dire «les» jungles. Celles qui sont nées puis mortes à Calais depuis la fermeture de Sangatte en 2002. Sans compter toutes les autres qui se sont créées au fil du temps sur le littoral, de la Normandie à la Belgique et le long des aires des trois autoroutes nordistes qui mènent à Calais. Il y en aurait au total près d'une dizaine (lire aussi page 8). A l'époque de Sangatte déjà, des exilés installés dans le centre de la Croix-Rouge partent, parfois deux ou trois jours, se cacher dans des bosquets pour accéder à des chemins moins contrôlés dans l'espoir de se glisser dans des camions pour passer en Angleterre. Les vraies «jungles» naissent après Sangatte. Au début, les exilés trouvent refuge dans les blockhaus autour. La police expulse, remplit ces refuges de gravats. Les exilés, eux, s'abritent dans des cabanes de plage, des hangars à bateaux, des maisons abandonnées, et des forêts de la périphérie de Calais, tout près de l'actuelle jungle. Toujours traqués, délogés à coups de lacrymogènes, parfois pire. Ils se cachent. «Où dormez-vous ?» demande-t-on à un exilé, dans les jours qui suivent le démantèlement de Sangatte. «Tou jangal», répond-il en persan, «dans la forêt». En anglais, ça donne «in the jangal». Les bénévoles entendent «jungle», et l'effrayant mythe naît.
Au début, les migrants sont presque invisibles. Ils ne seraient que 200. En 2009, Eric Besson, alors ministre de l’Immigration, fait évacuer une grande jungle sous les caméras. On compte environ un millier de personnes. Là encore, ils sont harcelés. Ils investissent les squats, en ville, avec l’aide des No Border. Expulsions. Nouvelles jungles, dont celles de l’usine Tioxide (à proximité de la rocade vers le port) et de Leader Price (près de l’autoroute vers le tunnel). La frontière s’étanchéifie, les délais de passage s’allongent, les prix montent. De la petite délinquance apparaît. Et aussi des assauts de camion en plein jour, pour passer sans payer. Exaspérée, la maire de Calais demande à l’Etat de n’autoriser les migrants à s’installer que dans une ancienne décharge à l’écart de la ville, près d’usines classées Seveso. La première «jungle d’Etat» est née. Selon les associations, ils seraient autour de 7 000 aujourd’hui à y vivre.