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Stratégie

Déchéance : Valls fait patte de velours au Sénat

Déchéance de nationalité, la polémiquedossier
Le Premier ministre a entamé, mardi, la bataille de la révision constitutionnelle devant la Chambre haute. Avant le débat dans l'hémicycle la semaine prochaine, il a tenté d'amadouer les sénateurs de droite.
Manuel Valls au 31e dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le 7 mars. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 8 mars 2016 à 13h19

A son langage corporel, on comprend que Manuel Valls joue gros. Ni poing ni mâchoires serrées, pas de moulinets avec les bras ou d’yeux levés au ciel, un ton plus que conciliant. Mardi matin, le Premier ministre planche sur la révision constitutionnelle devant la commission des lois du Sénat, dont dépend totalement l’avenir du texte inscrivant l’état d’urgence et la déchéance de nationalité pour les terroristes dans la loi fondamentale française. Majoritaire dans la Chambre haute du Parlement, la droite a promis de remanier profondément le texte sorti aux forceps de l’Assemblée début février. Notamment sur la déchéance que les sénateurs Les Républicains et centristes veulent (indirectement) réserver aux binationaux. Si cette version prévalait après le débat dans l’hémicycle la semaine prochaine, cela voudrait dire que le projet de loi repartirait en deuxième lecture au Palais-Bourbon sur des bases inacceptables pour la gauche. Et sonnerait donc le glas de la révision constitutionnelle et du Congrès souhaité par François Hollande.

D'où la patte de velours du chef du gouvernement pendant une heure et demie devant la commission des lois du Palais du Luxembourg. Valls salue un Sénat «qui a toujours su prendre ses responsabilités», notamment sur les lois antiterroristes ou la lutte contre le crime organisé. Il «comprend les interrogations» suscitées par l'article 2 sur la déchéance et trouve «légitime» les modifications que souhaitent apporter les sénateurs au projet de loi constitutionnel.

«Ceux qui sont tombés»

Alors qu'il n'a eu de cesse de défendre le «serment de Versailles» formulé le 16 novembre par François Hollande, Valls met en garde ceux qui voudraient «sacraliser la parole présidentielle» devant le Congrès qui s'est tenu trois jours après les attentats de Paris et Saint-Denis. C'est pourtant la stratégie des sénateurs de droite : revenir au discours de Hollande, qui avait annoncé que la déchéance s'appliquerait aux binationaux «même nés Français». La gauche s'est fracassée sur la proposition et, au prix d'un psychodrame de six semaines, a obtenu que la déchéance soit appliquée à tous les Français, même si cela a pour conséquence de créer des apatrides. Depuis, le projet de loi travail a achevé de faire imploser la majorité et le Premier ministre en fait des tonnes pour séparer texte et contexte. Il rappelle les attentats de novembre et «ceux qui sont tombés» dès ses premiers mots. «Dans un monde où un événement chasse un autre événement, nos compatriotes n'ont rien oublié, eux. Ils ont besoin que nous soyons à la hauteur.»

Sur le fond, «je ne sais pas si la déchéance est de gauche ou de droite mais elle ne me pose aucun problème», lance-t-il à la sénatrice communiste Eliane Assassi qui votera contre un texte «qui n'est pas de gauche». Valls, qui lit les fiches posées devant lui, tente de prendre le Sénat au piège de ses propres décisions. Selon lui, la déchéance telle qu'elle a été votée (ric-rac) à l'Assemblée en février est une «formulation en tous points compatible avec la position historique du Sénat» en décembre 1997 et janvier 1998. «Cela doit être un gage de sérénité, et j'espère de convergence», estime le Premier ministre. Les deux dates correspondent à l'assouplissement du code de la nationalité, défendu par le gouvernement Jospin pendant la cohabitation.

La crainte du Front national

Valls s'agace un peu quand même quand le sénateur socialiste Jean-Yves Leconte (des Français de l'étranger) attaque la déchéance de nationalité, qui consiste à faire de nos voisins «la poubelle de la France». Il essaie aussi l'humour pour contrebalancer le projet de déchéance de nationalité : «Quelqu'un qui n'est pas né français peut même devenir Premier ministre, vous vous rendez compte ?» Sénateur LR du Calvados, ancien secrétaire général de l'Elysée sous Chirac, le président de la commission des lois, Philippe Bas, ne sourit pas des masses. Avec l'ancien ministre de la Justice centriste Michel Mercier, il a réécrit l'article sur la déchéance et veut inscrire dans la Constitution l'interdiction de créer des apatrides. Ce qui revient à viser uniquement les Français ayant plusieurs nationalités.

«Vous nous demandez d'être à la hauteur, nous essaierons de faire comme vous mais nous n'avons pas l'habitude de nous dérober», prévient Philippe Bas. Comme à l'Assemblée, droite et gauche jouent à fronts renversés au Sénat sur les questions de sécurité et de libertés. «L'efficacité de la lutte contre le terrorisme sera notre préoccupation de même que la défense des droits et des libertés, prévient-il. Nous ne souhaitons pas donner aux législateurs de demain des pouvoirs que nous pourrions regretter de leur avoir donnés.» Une allusion limpide à l'éventuelle arrivée au pouvoir du Front national. Malgré toutes ces préventions, Valls ne «doute pas qu'un accord puisse être trouvé» avec le Sénat. Un peu plus tard, devant les sénateurs socialistes, pour la première fois depuis qu'il est à Matignon, Valls met (enfin) la pression sur la Chambre haute : «Les Français jugeraient sévèrement un Parlement qui n'arrive pas à se mettre d'accord.»