«Attends, ce truc, c'est la modulation à mort, tu peux bosser plus de 48 heures par semaine, et le patron te licencie comme il veut, sans justifier !» C'est la disposition relative aux amplitudes horaires que Thibault, 22 ans, juge la plus inacceptable dans l'avant-projet de loi de la ministre du Travail, Myriam El Khomri. Le jeune homme qui sort de l'agence Pôle Emploi Grand Sud, à Lille, dans un des quartiers HLM de la ville, est pressé : il a prévu d'aller manifester.
Son pote, Marvin, 24 ans, pas trop au courant, demandeur d'emploi lui aussi, est vite convaincu : «Si tu as un CDI et que tu peux être renvoyé comme ça, ça ne va pas.» Il sait de quoi il parle, il a déjà bossé quatre ans dans une boîte qui a déposé le bilan, et depuis, cumule les formations : CAP d'ébénisterie, de maçonnerie, de plaquisterie. Il a laissé tomber celui d'électricité : «Si tu as trop de diplômes, tu es trop payé, et tu ne trouves pas de boulot», explique-t-il. François Hollande, il n'en pense pas du bien, depuis l'instauration des contrats aidés et leurs effets d'aubaine : «Moi, j'étais en intérim avec une promesse de CDI, mais la DRH est venue me baratiner que ce n'était plus possible. C'était en fait pour prendre un contrat d'avenir.» Alors, faciliter le licenciement pour embaucher plus, il a du mal à y croire.
«On n’attendait pas ça des socialistes»
A la mission locale de Lille, qui aide les jeunes de moins de 26 ans à démarrer dans la vie, c'est le même son de cloches. Il y a ceux qui ne s'intéressent pas, comme Zakia, 23 ans. Elle travaille à temps partiel comme animatrice pour la ville : rien à voir avec son bac secrétariat. «Je ne porte pas de jugement, on verra quand ce sera en vigueur, dit-elle en haussant les épaules. Mais c'est à leurs risques et périls.» Et on comprend bien que c'est au gouvernement qu'elle pense.
Zakia n'a qu'une idée en tête : trouver un travail stable. Et puis il y a les autres, qui ne connaissent pas le texte dans le détail, mais s'indignent pour ce qu'ils en savent. Comme Mohamed, 25 ans, en service civique à la mission locale. C'est son truc, le social, plus que l'informatique, malgré sa licence. Il a signé la pétition en ligne. «On n'attendait pas ça des socialistes, mais plutôt de la droite, remarque-t-il. Ce n'est pas normal de devoir travailler 12 heures par jour, le patron a toute autorité.» Il n'est pas allé manifester car il travaille. Sa collègue, Mathilde, 23 ans, qui veut abandonner la restauration pour l'insertion professionnelle, approuve : «Ce n'est pas un projet de loi qui favorise la création d'emplois, mais l'exploitation des emplois existants.» Baptiste, 22 ans, ne veut pas entendre parler de cette réforme : «Je crains qu'on profite encore plus de nous», résume-t-il. Il a déjà eu son lot d'iniquités, dans la restauration. Il énumère : «J'ai déjà travaillé trois mois dans une entreprise sans contrat de travail, j'ai eu des heures qui n'étaient pas toutes payées, et j'ai enchaîné 24 jours de boulot sans journée de repos.» Pour eux, le monde de l'entreprise n'est pas toujours le paradis décrit par les débatteurs à la télé. Là, il est en période d'essai, pour un CDI à temps plein. «J 'ai la tremblote de dégager à chaque instant.» Au cas où, il a gardé son job du matin, la distribution des pubs et des journaux dans les boîtes aux lettres, lever tous les jours à 5 heures.
«Nous, on est déjà dans la merde, mais mes frères…»
Stéphanie
(photo),
22 ans elle aussi, est pour l’instant auxiliaire de vie auprès de personnes âgées. Une fausse timide, qui sait ce qu’elle veut, devenir aide-soignante. Elle est indignée par le projet d’El Khomri.
«Il faut une raison valable pour licencier une personne en CDI. Elle a une famille, un crédit à rembourser peut-être. Elle a une vie.»
Baptiste renchérit :
«Nous, on est déjà dans la merde, mais je pense à mes frères, à mes cousins, qui ont 12 ans. Quand ils vont entrer dans le système, ils vont pleurer.»
(Photo Lucie Pastureau. Hans Lucas pour
Libération
)
La précarité, maladie de la jeunesse
Taux de chômage des jeunes 24 % au dernier trimestre 2015, contre 10 % pour l'ensemble de la population. Ce chiffre ne concerne cependant que les jeunes non scolarisés. Rapporté à la tranche d'âge des 15-24 ans, il n'est plus que de 8,9 %, contre 8,2 % pour les 25-49 ans.
Taux de pauvreté Il atteint (en 2013) près de 20 % des jeunes de 18 à 29 ans, contre 14 % pour l'ensemble de la population. Et comme pour l'ensemble des Français, il touche davantage les jeunes femmes (20 %) que les jeunes hommes (17,3 %).
Précarité au travail Les contrats précaires concernent 50 % des 15-24 ans, contre 13 % des 25-49 ans. Mais hors apprentissage, le taux de précarité n'est plus «que» de 30 %. Un chiffre qui a peu évolué depuis quinze ans.
Etudes et travail Parmi les 2,1 millions de jeunes qui suivent des études dans l'enseignement supérieur, 19,2 % d'entre eux cumulent emploi et études selon l'Insee.