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Libération
Éditorial

Loi travail : cas d’école d’un échec annoncé

publié le 11 mars 2016 à 19h21

Si un manuel de l’antiréforme devait un jour s’écrire, il faudrait consacrer un très long chapitre à cette loi El Khomri. Quelle que soit sa légitimité et son devenir, ce texte restera comme un magnifique cas d’école d’une réforme vouée au conflit. Avec une remarquable discipline, le gouvernement aura coché tous les incontournables du chemin de croix qui mène au fiasco politique. Et qui, in fine, conforte tous les libéraux de ce pays, qui n’aiment rien tant que chanter le lamento de cette «France irréformable».

1) Le moment politique. C’est peu dire que la majorité n’était pas du tout disposée à digérer un texte à la teneur aussi libérale, contraire à l’esprit et à la lettre des engagements de campagne de François Hollande. Les députés socialistes sortaient à peine de plusieurs semaines de débat traumatisant sur la déchéance de nationalité. A un an de la présidentielle, la majorité n’aspirait qu’à une seule chose : retrouver un peu de sérénité politique pour créer les conditions du rassemblement de la gauche. Même si l’opinion publique est convaincue que «tout n’a pas été essayé en matière de lutte contre le chômage», les électeurs de François Hollande se rappellent vaguement que leur candidat leur avait promis que le temps de la redistribution viendrait, après celui du redressement et des efforts consentis dans la première moitié du quinquennat (principalement sous forme de hausse d’impôts). Les signaux envoyés par le sommet de l’Etat étaient rassurants : le projet de texte ne viendrait pas franchir les lignes jaunes de la gauche. Valls et Hollande ont finalement choisi l’effet de surprise. Une arme qui peut être d’une grande efficacité, mais à la seule condition qu’elle annonce de bonnes nouvelles. Pas des mauvaises. Sinon, c’est du passage en force.

2) Un diagnostic partagé.

C’est l’autre condition pour faire adopter un texte qui prend à contre-pied sa majorité. Le CICE et ses 20 milliards d’euros de baisse de charges pour les entreprises n’étaient pas dans le programme de François Hollande. Mais au moins, il a été précédé du rapport de Louis Gallois. Sa légitimité (un grand patron de gauche) le plaçait au-dessus de la mêlée. On pouvait contester la mesure, son montant, mais pas le diagnostic, pour le coup consensuel. Quelle est aujourd’hui l’analyse du gouvernement sur cette étrange réalité française qui combine une grande protection du marché du travail, un chômage élevé, et un taux de pauvreté contenu malgré la violence de la crise ? Nul ne sait. D’autant plus que, pour rédiger sa loi, l’exécutif a pris grand soin d’écarter tous ses potentiels partenaires : sa majorité, son parti, et les syndicats réformistes.

3) Une loi pour faire quoi ?

Aujourd'hui, un citoyen même très bien informé aurait du mal à s'y retrouver. On lui a expliqué que le code du travail français était devenu illisible car beaucoup trop épais. Il a vaguement entendu dire que les entreprises ont peur d'embaucher car elles n'auraient pas la liberté de licencier. Ou encore que le marché du travail français fonctionne à deux vitesses : protecteur pour les salariés en CDI, précaire pour les autres. Et maintenant que ce texte «permettra de répondre à l'hyperprécarité» de la jeunesse, selon les mots de la ministre du Travail. Un projet de loi qui change aussi rapidement d'objectifs, au gré de la montée des contestations, est au minimun un texte mal né. Au pire, un texte condamné.