Big Brother a des ratés. On s'inquiète habituellement de la toute-puissance technique de la surveillance moderne, qui met la vie de chaque citoyen à la merci des services d'écoute. Les scandales de la NSA et de quelques autres organismes d'espionnage de masse ont démontré que les pouvoirs du numérique ont décuplé la force intrusive des Etats, en même temps que l'hypocrisie de leurs dénégations quand ils sont pris la main dans le sac. Avec les révélations de notre journal, nous changeons d'inquiétude. Mal régulée, l'activité de surveillance est aussi entachée d'inefficacité dans sa fonction première : anticiper, débusquer, traquer le terrorisme et les autres formes de délinquance extrême. Tel une sorte de fier Titanic de la révolution numérique, la plateforme censée centraliser les écoutes dont se servent policiers et gendarmes pour arrêter les terroristes est sujette à de déconcertants accès de faiblesse. On pensait que l'Etat surveillait trop. Il s'avère qu'il surveille mal. Qui faut-il incriminer ? Nous en sommes aux premières investigations. L'idée d'une centralisation jacobine des écoutes judiciaires est satisfaisante pour l'esprit : on se plaint souvent de la concurrence des services ou de leur coordination insuffisante. La volonté d'unifier les données recueillies au sein du même système a-t-elle cette fois donné naissance à un de ces éléphants blancs de la République qui indigne le contribuable ? Ou bien la délégation d'un projet entier au secteur privé a-t-elle abouti à une sous-estimation des coûts doublée d'une surestimation des performances ? Il est clair, en tout cas, que les grandes oreilles tricolores ont été victimes d'une otite. Une fois la plateforme rétablie, le devis maîtrisé et l'efficacité du système restaurée, il sera sans doute nécessaire d'en frotter quelques-unes.
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