La télévision au service de la justice ? Ce n’est pas forcément sa mission d’origine, mais à la guerre comme à la guerre, fut-ce à son corps défendant. Ce mardi, un tribunal parisien doit décider si un documentaire, commandé par France 3 mais non diffusé à ce jour, bien qu’il soit achevé depuis six mois, doit être annexé à un dossier pénal en cours.
Il est de nouveau question de la fausse affaire d'espionnage chez Renault, le constructeur automobile, complotiste en diable, s'estimant victime d'intrusions diverses et variées sur quelques secrets industriels réputés internes. Cela avait commencé par la grotesque affaire Autoplus, le PDG Carlos Ghosn portant plainte pour vol en 2007 contre le magazine, lequel avait diffusé en avant-première des photos de nouveaux modèles. Aucun secret de fabrication n'étant dévoilé, cette plainte s'achèvera par un non-lieu.
Puis par un vol de secret de fabrication sur le véhicule électrique par des concurrents asiatiques, le PDG Carlos Ghosn s'invitant en 2010 au 20 heures de TF1, sûr de lui et dominateur : «Nous avons des certitudes.» Avant d'y revenir quelques semaines plus tard pour s'excuser plus ou moins platement : «Je me suis trompé, nous nous sommes trompés, il semble que nous ayons été trompés.»
Association de malfaiteurs et escroquerie en bande organisée
En, cause, la cellule d’enquête interne du constructeur (composée d’anciens policiers ou militaires) qui aurait péché par zèle. Trois de ses membres sont depuis mis en examen pour association de malfaiteurs et escroquerie en bande organisée. L’enquête pénale vient enfin de s’achever en novembre. Dominique Gevrey, l’un des trois poursuivis, peine depuis cinq ans à mettre en cause la direction de Renault, dont la paranoïa ambiante aurait pu les pousser à la faute. En vain : Ghosn n’a été entendu qu’une seule fois comme témoin par le juge d'instruction.
. Quant à son numéro 2 de l’époque, Patrick Péleta, qui fera office de fusible en 2011, c’est bien simple : huit demandes d’audition, huit refus. Pas touche à la direction de Renault !
La juge d'instruction, Charlotte Bilger, motive son refus obstiné au motif que le big boss a déjà été entendu. «Motivation innovante permettant l'audition par personne interposée, ironise Me Jean-Paul Baduel, l'avocat de Gevrey, mais qui ne permet une instruction à charge et à décharge.» Justement, deux journalistes de l'agence Point du Jour, réalisateurs du documentaire commandé par France 3, ont longuement interrogé Péleta, depuis rangé des voitures. Lequel reviendrait en détail sur l'affaire et accessoirement sur le management à la mode Ghosn. «En quatre ans, il a eu l'opportunité de retrouver une indépendance et un recul par rapport à un télescopage d'événements qui lui ont coûté son poste et sa carrière», plaide Me Baduel.
Le tribunal devra statuer si une copie du documentaire, produit par Point du Jour mais désormais aux mains de France Télévisions, doit être annexée au dossier pénal. Une première à la fois judiciaire et télévisuelle, à laquelle la chaîne s’oppose au nom des droits de l’homme et la propriété intellectuelle. Il serait plus simple que la chaîne finisse par programmer son documentaire, auquel cas la défense du mis en examen n’aurait plus à plaider un «déni de diffusion».
Saisi en référé, le tribunal s'est donné le temps de la réflexion: il sa décision dans un mois: le 13 avril.